La Chute Des Géants: Le Siècle
se soumettre à l’autorité de leurs
officiers ! »
Un cri de protestation jaillit de
toutes les poitrines.
« Camarades ! reprit
Grigori en hurlant plus fort que la foule. Il n’est pas question de revenir au
temps passé. »
Les délégués hurlèrent leur assentiment.
« Le peuple de la ville doit
avoir du pain. Nos femmes doivent se sentir en sécurité dans les rues. Les
usines doivent rouvrir et les moulins doivent recommencer à tourner – mais
plus comme avant ! »
Ils l’écoutaient maintenant, se
demandant où il voulait en venir.
« Nous, les soldats, nous
devons arrêter de casser la gueule aux bourgeois, arrêter de harceler les
femmes dans la rue et arrêter de piller les débits de boissons. Nous devons
regagner nos quartiers, nous calmer, et recommencer à faire notre devoir, mais… »
– il fit durer la pause°– « à nos conditions ! »
Il y eut un grondement d’approbation.
« Et quelles sont ces
conditions ? »
Quelqu’un cria : « Que
ce soit des comités élus et plus des officiers qui donnent les ordres ! »
Un autre ajouta : « Qu’on
cesse de les appeler « Votre Excellence » et « Votre Grandeur »,
qu’on leur dise dorénavant « mon colonel » et « mon général ».
— Et finis les saluts ! »
braillèrent d’autres voix.
Grigori ne savait pas quoi faire.
Chacun y allait de sa proposition. Il n’arrivait pas à les entendre toutes,
encore moins à se les rappeler.
Le président de séance vint à sa
rescousse. « Je propose que tous ceux qui ont des suggestions à faire
constituent un groupe avec le camarade Sokolov. » Grigori se réjouit,
Nikolaï Sokolov était l’homme de la situation. Avocat de gauche, il saurait
formuler les motions en termes juridiques corrects. Le président continuait :
« Quand vous vous serez mis d’accord sur ce que vous voulez, apportez la
proposition au soviet pour approbation.
— Très bien », dit
Grigori et il sauta de l’estrade.
Sokolov était assis à une petite
table dans un coin de la salle. Grigori et Konstantin s’approchèrent de lui,
accompagnés d’une bonne dizaine de députés.
« Parfait, dit Sokolov. À
qui faut-il adresser ce document ? »
Grigori en fut tout déconcerté,
une fois de plus. Il s’apprêtait à répondre : « Au monde » quand
un soldat le devança : « À la garnison de Petrograd. »
D’autres s’exclamèrent : « Et
à tous les soldats de la garde, de l’armée et de l’artillerie.
— Et de la marine !
renchérit un autre.
— Très bien, dit Sokolov, le
stylo à la main. Pour exécution immédiate et précise, je suppose ?
— Oui.
— Et aux ouvriers de
Petrograd, à titre d’information ?
— Oui, oui, s’impatienta
Grigori. Bon, qui est-ce qui a parlé de comités élus, tout à l’heure ?
— Moi », répondit un
soldat à moustache grise. Il s’assit sur le bord de la table juste devant
Sokolov et récita, comme pour lui dicter un texte : « Tous les
soldats doivent constituer des comités formés de leurs représentants élus. »
Sokolov poursuivit, sans cesser d’écrire :
« Dans toutes les compagnies, tous les bataillons, régiments…
— Dépôts, batteries,
escadrons, navires de guerre », ajouta quelqu’un.
Le soldat à la moustache grise
reprit : « Que ceux qui n’ont pas encore élu de députés le fassent au
plus vite !
— Bien sûr, fit Grigori
impatiemment. Bon. Les armes de toutes sortes, y compris les véhicules blindés,
sont sous le contrôle des comités de bataillons et de compagnies, et non plus
des officiers. »
Plusieurs soldats exprimèrent
leur accord.
« Très bien »,
acquiesça Sokolov.
Grigori continua : « Les
unités militaires sont soumises au soviet des députés ouvriers et soldats et à
ses comités. »
Sokolov releva les yeux pour la
première fois. « Cela signifierait que le soviet a pleins pouvoirs sur l’armée.
— Oui. Les ordres de la
commission militaire de la douma ne seront suivis que s’ils ne contredisent pas
les décisions du soviet. »
Sokolov regardait toujours
Grigori. « Cela rend la douma aussi impuissante qu’elle l’a toujours été. Avant,
elle dépendait du caprice du tsar. Maintenant, chacune de ses décisions devra
être approuvée par le soviet.
— Exactement, admit Grigori.
— Dans ce cas, le soviet est
suprême.
— Eh bien, écrivez-le »,
suggéra Grigori.
Sokolov
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