La colère du lac
enfin, ils approchaient de la gare et le petit
s’était finalement calmé, sûrement que le reste du voyage se passerait mieux.
Ernest se détourna vers son fils et lui fit un sourire rassurant, mais celui-ci
avait le regard comme éteint et n’eut aucune réaction en retour. Jamais Ernest
n’avait vu un enfant dans cet état, mais, pensa-t-il, comme tous les petits
garçons, celui-ci ne résisterait certainement pas au plaisir de découvrir
l’énorme locomotive noire qui soufflait d’impatience de partir. Cependant, même
la nouveauté du long voyage en train qui reliait Chicoutimi à Roberval ne dérida
pas l’enfant. Ils allèrent souper et dormir dans une auberge de la ville. Là
aussi, le mutisme du petit garçon en dérouta plusieurs, mais on mit cela sur le
compte de la fatigue.
Ce n’est que le lendemain, rendu au quai de Roberval pour s’embarquer sur le
bateau qui les mènerait de l’autre côté du lac, que François cessa d’être
apathique. Jamais il n’aurait soupçonné que quelque chose d’aussi merveilleux
puisse exister. Ce lac était immense, à perte de vue. Il s’en dégageait une
légère brise qui vous chatouillait le visage et vous donnait envie de rire. Une
odeur inconnue, mais en même temps familière vous engourdissait l’esprit de
bien-être. Ce lac vous clapotait une berceuse que vous n’aviez jamais entendue
auparavant, mais que vous connaissiez par cœur. Ce lac était le ventre de la
mère retrouvée, le sang du père aimé. Ernest, près de lui, sentit cette subtile
métamorphose. Encouragé, ne voulant surtout pas que l’enfant ne se referme de
nouveau sur lui-même, inquiet d’avoir été trop dur la veille, le père adoptif se
mit à lui expliquer, en long et en large, le reste du voyage avec le plus de
gentillesse et de douceur possible. Bientôt « le Nord » les prendrait à son
bord. Après une longue traversée, levapeur accosterait sur la
rive d’en face, au village de Péribonka. Puis un deuxième bateau, plus petit,
leur ferait traverser la rivière et… Mais François ne l’écoutait pas. Il était
occupé à autre chose. Debout, sur le bout du grand quai, face à cette immensité
bleue, François se réconciliait avec sa vie qui avait si mal débuté.
Le soleil brillait fort en cette chaude journée du mois d’août, mais pas autant
que les yeux de François, lorsqu’il foula pour la première fois la terre de son
nouveau chez-lui. Depuis l’embarquement, au quai de Roberval, tout n’était
qu’émerveillement. Il se gavait de tant de beauté qu’il ne sentait même pas la
fatigue l’envahir. Sur le bateau, le vent avait fouetté son visage et il avait
adoré cela ! Du haut du pont, il essayait de scruter le fond de l’eau et
essayait d’apercevoir des poissons. Un des matelots lui avait dit qu’on pouvait
en pêcher des longs de même ! Il regardait la terre au loin disparaître de sa
vue, fermait les yeux quelques secondes, et se concentrait sur le bruit des
vagues frappant la coque. C’était fantastique, comme s’il avait toujours
appartenu à ce monde marin ! Il se sentait léger, détendu tout à coup. La
journée d’hier lui semblait si loin… Pourtant, il avait eu tellement de
difficulté à s’endormir la veille, il aurait tout donné pour se retrouver à
l’orphelinat, dans son petit lit… Il s’était senti si malheureux, les larmes
coulant sur cet oreiller inconnu et trop dur. Il avait mal… Il avait peur… Il
s’était réveillé en sursaut, perdu dans cette chambre qu’il ne connaissait pas,
puis avait fait docilement ce que les Rousseau lui demandaient.
— Xavier, habille-toé pis fais pas de bruit, j’ai encore mal à tête… Xavier,
viens te laver le visage… Xavier, mets pas tes mains dans tes poches, c’est pas
poli… Xavier, tiens-toé comme il faut… lui ordonnait sa nouvelle mère.
Il haussait les épaules et obéissait, sans rien répliquer, ne
comprenant pas pourquoi la femme s’obstinait à l’appeler par ce stupide
prénom.
Bouderait-il ainsi longtemps, se demandait le père… Déjà que Rose-Élise s’était
encore levée du mauvais pied ce matin… Ah, comme il avait hâte d’être de retour
chez lui. Bientôt, ce soir… Voilà si longtemps qu’il rêvait de ce grand jour !
Il avait acheté sa terre, en bon argent sonnant, l’avait défrichée, seul, puis
avait construit
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