La colère du lac
du site, larichesse de sa terre gorgée d’alluvions, l’abondance de sa
faune et de sa flore, une réussite certaine, y promettait-on ! Longtemps avant
que les bottes des colons n’y sillonnent profondément le sol, les légers
mocassins des Indiens, eux, y avaient dansé, remerciant les esprits pour cette
merveilleuse création. Ces Montagnais, doux peuple nomade, en avaient fait le
point de rencontre idéal pour leurs différents clans. Leurs cheveux noirs libres
de toutes plumes flottant dans le vent, ils vivaient simplement. Mais c’était
avant que leurs pas de danse ne tournent en rond dans leur réserve de
Pointe-Bleue, avant que tout ne soit compliqué et qu’ils ne sachent plus comment
exister… Le petit François, lui, ignorait tout de l’histoire des Indiens, du lac
Saint-Jean et de sa Pointe-Taillon et, ce jour-là, tandis que ces deux étrangers
lui intimaient de se calmer et de marcher plus vite, peu lui importait de
l’apprendre. Tout ce qu’il voulait, c’était retourner là-bas et retrouver
Joséphine. Il lui avait promis de faire ça comme un grand, de ne pas pleurer et
de ne pas donner de coups de pied, mais il n’aimait pas cette madame, elle
serrait trop fort son poignet et ça lui faisait mal ! Il avait pourtant essayé
de la repousser de toutes ses forces, mais elle ne cessait de vouloir l’attirer
contre elle. Sa Fifine lui avait expliqué que maintenant, il avait un papa et
une maman, et qu’il devait être gentil, parce qu’il était chanceux qu’ils aient
voulu de lui, mais elle ne sentait pas bon sa nouvelle maman, ça lui levait le
cœur !
— Non, j’veux Fifine !
Mais son corps entier avait beau crier, se révolter, rien n’y faisait, les
griffes de la bête étaient solides. Il ne pouvait pas s’enfuir. Tout était si
étrange ! C’était la première fois qu’il quittait la sécurité de l’orphelinat.
Il y avait plein de bruits qu’il ne connaissait pas et les Rousseau couraient
presque maintenant, par crainte de rater leur train. François se mit à pleurer
et essaya encore une fois de dégager son bras. La femme le tira violemment par
en avant.
— C’est pas le temps de niaiser à matin, j’ai mal à tête,
tiens-toé tranquille un peu !
Alors François oublia toutes ses belles promesses et avec un grand élan de la
jambe, il flanqua le plus grand coup de pied de sa vie ! V’lan, en plein tibia
de la femme ! Rose-Élise Rousseau hurla de douleur et lâcha la main de l’enfant
pour se frotter la jambe sur laquelle elle sentait déjà une bosse poindre. Le
mari, qui marchait en avant, se retourna brusquement. François réalisa qu’il
était libéré de la poigne de la femme. Il eut le temps d’enregistrer que l’homme
déposait les bagages qu’il transportait pour revenir vers lui, le reprendre,
l’emprisonner, non !
— Non ! cria-t-il avant de prendre ses jambes à son cou et de courir le plus
vite possible.
— Baptême de baptême ! s’exclama Ernest Rousseau avant de partir à la poursuite
de son fils adoptif.
L’homme ne fut pas long à rattraper le petit fuyard. Il l’attrapa par le collet
et le retourna vers lui. François était déchaîné et se mit à frapper l’homme de
toute la puissance de ses poings et de ses pieds.
— Ça suffit ! lui commanda Ernest d’une voix tonitruante.
François n’avait jamais eu affaire à un homme encore, son monde était celui de
religieuses et de servantes. La voix grave et forte de son père adoptif lui fit
le plus grand effet. Instinctivement, il sentit l’autorité de l’homme et sut
qu’il devait s’y soumettre. Il se calma immédiatement.
— Bon, écoute-moé ben, mon p’tit bonhomme. J’le sais que c’est pas facile, tu
nous connais pas encore. Mais tu vas voir, on va être une bonne famille pour
toé, si t’es un bon fils pour nous, comme de raison. Maintenant, t’es François
Rousseau, pis, y a pus rien qui peut changer ça. C’est moé ton père astheure pis
c’est moé qui décide, pis toé, tu obéis. T’as ben compris ça ? Bon, ben
viens-t-en sinon on va finir par le rater, ce baptême de train !
François acquiesça et accepta de suivre docilement son père
adoptif. Les Rousseau accueillirent avec soulagement ce changement d’attitude.
Rose-Élise avait mal à la tête de ces cris perçants et Ernest remettait en
question leur choix. Mais,
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