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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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comme si c’était hier, y a pas à dire, j’ai meilleure mémoire que j’pensais…
     Quand j’dis qu’y m’avait emmené à la pêche, j’parle d’un vrai voyage de pêche.
     On était partis trois jours dans le bois, que j’étais fier ! C’est là que j’ai
     pris mon premier achigan. Pour le sortir de l’eau, j’m’étais mis à reculer dans
     le bois, pis ma ligne s’était tout enroulée dans les branches, ça fait que mon
     père a dû décrocher le poisson de dans les arbres !
    Et Ernest se surprenait à rire de ses histoires, rire comme il y avait des
     années que ça ne lui était pas arrivé.
    — Une fois, on avait eu une bordée de neige, tiens un peu comme
     aujourd’hui, mais c’était tombé d’un seul coup pendant la nuit pis quand on
     s’était levés le matin, ben baptême, j’te jure, il faisait noir comme chez
     l’diable ! Les fenêtres étaient bouchées de neige, pis la porte bloquée ben dur,
     ouais, j’m’en souviens encore, ma mère avait allumé une chandelle. Y avait fallu
     gratter avec un couteau, pouce par pouce, pour réussir à sortir !
    Sans s’en rendre compte, d’anecdotes en anecdotes, il revécut son enfance et en
     même temps, sans le savoir, il en offrit une à son fils. Il lui parla de son
     chagrin lorsque son chien était mort, de sa peur lorsqu’il s’était perdu dans le
     bois lors du fameux voyage de pêche, de son inquiétude quand ses parents avaient
     décidé de quitter Québec pour descendre à Charlevoix. Et, à travers ces
     événements du passé, il transmettait les leçons de la vie qu’il avait dû
     apprendre par cœur et retenir à tout jamais. Comme avant, François-Xavier le
     suivait partout et l’aidait à faire les travaux, mais maintenant, c’était sans
     âme qu’il le faisait et surtout, muré en un anormal silence. Et puis, sa
     Rose-Élise lui manquait. Pas la Rose-Élise des derniers moments, mais celle
     qu’elle avait été et celle qu’elle aurait pu devenir si la mort du corps et de
     l’esprit n’était pas venue frapper si souvent à sa porte. Ah, la solitude !
     Baptême que cette croix était lourde à porter ! Un fils muet, un lac gelé, une
     forêt emmitouflée, une maison isolée, un lit délaissé… autour d’Ernest, tout
     s’était tu.

    — François-Xavier, François-Xavier, réveille-toé. J’ai changé d’idée, on part
     pour la messe de minuit ! s’écria Ernest en brassant énergiquement son fils
     endormi.
    Croyant que le long trajet serait déconseillé pour la santé du petitgarçon, il s’était résigné à rester à la maison en cette nuit
     de Noël. Et puis, non, la vraie raison c’est qu’il avait eu peur d’affronter les
     ragots du voisinage. La maladie de Rose-Élise devait faire jaser tout le canton.
     Oui, Seigneur Jésus, il avait honte et il avait peur que les gens lui tournent
     le dos, et il ne savait pas s’il pourrait supporter cela en plus de tout le
     reste.
    — Baptême de baptême, j’ai jamais raté une messe de minuit de ma vie, c’est pas
     astheure que j’va commencer ! s’était-il soudainement exclamé avant de monter
     réveiller son fils.
    — Allons, gros paresseux, tu m’entends, on s’en va à messe de minuit !
     Dépêchons-nous !
    Et c’est ainsi que François-Xavier fut sorti, à l’improviste, d’un sommeil
     protecteur et qu’il se retrouva, tout hébété, à moitié enfoui sous des
     couvertures et des fourrures, filant à toute allure dans une nuit noire et
     blanche. Ernest se faisait un devoir d’entretenir sa portion de chemin et c’est
     facilement que le traîneau glissa en direction de Péribonka.
    — Pas chaud, hein, mon bonhomme ? Mais baptême que c’est beau ! s’exclama
     Ernest devant la splendeur du paysage tandis qu’il faisait ralentir le cheval à
     l’entrée de la forêt.
    Le chemin rétrécissait et accentuait une forte courbe et il devait se contenter
     d’aller au pas pour un petit bout de temps s’il ne voulait pas risquer de
     verser.
    — Regarde les sapins comme y sont chargés ! J’ai toujours pensé que c’était
     pour ça que le Bon Dieu leur laissait leurs aiguilles l’hiver, pour qu’Il puisse
     les décorer de neige…
    Ernest se remit à monologuer avec son fils tandis qu’il guidait l’attelage
     d’une main ferme.
    — Ah pis baptême, chus pas capable d’attendre au jour de l’An pour te donner
     ton étrenne ! déclara tout à coup Ernest en

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