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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Noël. Sur le parvis, les messes terminées, le curé Lapointe
     s’installa, bien emmitouflé dans sa pelisse, pour serrer les mains et offrir ses
     vœux. L’inquiétude passa sur son visage lorsque monsieur Rousseau et son fils
     s’approchèrent. Il avait beaucoup pensé à cette famille éprouvée ces dernières
     semaines. Il les regarda s’avancer timidement, l’homme un peu mal à l’aise et le
     petit garçon semblant se porter beaucoup mieux.
    — Monsieur Rousseau ! dit le curé en prenant soin de parler haut et fort, pour
     que tous entendent bien. Je suis content de vous revoir. Nous prions tous pour
     que votre femme aille mieux. Le docteur Picard est un bon docteur, vous avez
     bien fait d’accepter qu’il emmène votreépouse consulter les
     meilleurs spécialistes de Québec. En passant, j’ai eu des nouvelles de ma
     ménagère Antoinette. Est-ce que je vous avais dit que celle-ci a pris le train
     avec votre femme ? Elle m’écrit qu’ils ont fait un très bon voyage. Vous êtes un
     exemple à suivre, monsieur Rousseau. Tant de dévouement vous sera rendu. Bon, je
     vous souhaite un joyeux Noël pis à la prochaine !
    Ernest avait écouté, bouche bée, ce long monologue du prêtre avant de saisir
     que le curé lui offrait ainsi, publiquement, sa protection et lui sauvait la
     face devant les racontars des gens. Évidemment, ceux-ci n’arrêteraient pas de
     colporter certaines rumeurs, mais jamais, après ce que le curé venait de faire,
     ils n’oseraient le faire ouvertement, et rapidement, les ragots cesseraient et
     tomberaient dans l’oubli, enfin il fallait l’espérer. Reconnaissant, Ernest
     redressa les épaules et voulut remercier chaleureusement le prêtre, mais
     celui-ci était déjà accaparé par d’autres colons qui voulaient absolument avoir
     l’honneur de la visite de leur curé.
    — Ah ben, si c’est pas Ernest Rousseau en personne !
    Surpris, l’interpellé se retourna. Son plus proche voisin, Alphonse Gagné,
     venait de sortir de l’église à son tour.
    — Ah, Alphonse, comment ça va ?
    Pourquoi poser la question, se dit Ernest, quand il était évident, aux yeux
     brillants et à l’haleine alcoolisée de l’homme, que celui-ci avait déjà
     solidement commencé à fêter. Âgé de quarante-cinq ans, portant fièrement une
     longue moustache recourbée, d’une maigreur extrême que même la pelisse ne
     parvenait pas à camoufler, l’homme répondit bruyamment :
    — Ah ben, franchement, on peut pas se plaindre ! Un peu de raideur dans les
     genoux, mais, j’ai un p’tit médicament, si tu vois ce que j’veux dire… dit-il en
     tapotant la poche intérieure de son manteau d’hiver, là où une bosse bien
     visible indiquait la présence d’un flacon rempli de rhum.
    Que de fois, depuis son arrivée sur la Pointe, Ernest avait
     décliné la généreuse offre de partager un peu de ce liquide dont son voisin
     était tellement épris. Il n’avait jamais aimé la boisson et ne comprenait pas le
     désir de s’abreuver d’étourdissements et de bafouillages. C’était pour lui une
     déchéance, une perte de contrôle sur soi-même qui rendait l’homme semblable à
     une bête. Pour cette raison, il n’avait jamais éprouvé de sympathie pour son
     voisin immédiat et essayait, dans la mesure du possible, de garder ses
     distances. Mais, dans ces pays difficiles, l’entraide entre colons était
     indispensable pour la survie et un voisin devenait aussi important qu’un membre
     de la famille. Ernest restait poli, refusant fermement sa part de la bouteille
     et faisait semblant de ne pas remarquer les jambes flageolantes et les mains
     tremblantes de l’alcoolique. Bizarrement, plus Ernest était réservé, plus
     Alphonse était familier. Et c’est à grands coups de claques dans le dos et de
     rires tonitruants qu’Alphonse lui faisait la conversation, ne s’offusquant
     jamais du manque de répartie de son compagnon, tandis que tous les deux
     réparaient un bout de clôture ou rentraient le foin.
    — Bon, ben, nous autres, on va faire un boutte. J’pense que mon François-Xavier
     est en train de dormir deboutte, annonça Ernest en soulevant son fils dans ses
     bras.
    — Euh… Joyeux Noël, Alphonse, ajouta-t-il en se dirigeant vers son
     attelage.
    — T’es ben pressé, mon Ernest, dit son voisin en le retenant par le bras. Tu
     partiras pas d’icitte avant d’avoir promis de venir faire ton jour de

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