La colère du lac
dans de drôles de réflexions… Elle n’était pas
comme ça avant. « Allons, chassons ces pensées bizarres et affichons un sourire
de convenance » se dit-elle. À la vue d’Ernest restant gauchement debout contre
la porte, gêné et triturant son bonnet de laine entre ses mains, et du petit
François-Xavier à moitié caché derrière les jambes de son père, son sourire
n’eut plus rien de forcé et elle s’exclama :
— Ah ben, si c’est pas notre bon voisin !
Contente de la surprise, elle s’empressa d’aller à la rencontre de ses invités.
Elle tenait en haute estime cet homme travaillant et honnête.
— Entrez, entrez, monsieur Rousseau. Vite, dégrayez-vous pis venez vous
réchauffer, dit-elle en tendant les bras pour aider Ernest et son fils à se
départir de leurs vêtements d’hiver.
— Les garçons s’occupent des chevaux pis y s’en viennent, fit sèchement
Alphonse, en tendant sa pelisse à sa femme.
— Bonne année, madame Gagné, salua poliment Ernest. On restera pas longtemps,
j’voulais pas déranger, ajouta-t-il timidement en donnant son manteau et celui
de François-Xavier à la femme.
Il ne savait pas que sa voisine attendait encore un bébé et, malgré son franc
sourire d’accueil, il était évident que cette femme n’était pas en grande forme,
les cernes foncés sous les yeux bleus, les traits tirés, le souffle court en
témoignaient.
— Ben voyons, arrêtez-moé ça tusuite, rétorqua son hôtesse. Vous êtes toujours
les bienvenus pis bonne année à vous itou !
Sans plus de cérémonie, Anna Gagné accompagna ses bons vœux du rituel baiser
sur les joues. Embarrassé, Ernest rougit malgré lui à cette démonstration
pourtant anodine.
— J’t’en avais pas parlé, la femme, mais à messe de minuit j’avaisinvité Ernest à venir fêter avec nous autres. Chus allé à sa
rencontre, juste pour être sûr qu’il se perde pas en chemin.
Son voisin le taquinait, Ernest s’en rendait bien compte. Une chance qu’il
n’avait pas oublié sa promesse et qu’il s’en venait avec son fils vers la ferme
des Gagné lorsqu’ils avaient croisé Alphonse. Il n’aurait pas trouvé agréable
que celui-ci débarque chez lui. Il reporta son attention sur sa voisine qui le
questionnait :
— Avez-vous des nouvelles de votre femme ?
— Pas vraiment, juste celles que le curé Lapointe m’a données. Ç’a l’air de ben
aller vu les circonstances… répondit Ernest en baissant les yeux.
— J’m’en veux de pas avoir été la visiter plus souvent, reprit la voisine.
Avoir su qu’était souffrante de même.
— Viens-t-en, mon Ernest, j’ai quelque chose de bon qui va te réchauffer le
gorgoton, tu m’en diras des nouvelles, déclara Alphonse en entraînant son voisin
vers le salon. Occupe-toé du p’tit, Anna, ajouta-t-il à l’adresse de sa
femme.
François-Xavier était resté silencieux dans un coin. Il ne savait quoi faire.
Suivre son père ? Le salon semblait être le refuge des adultes, avait-il le
droit d’y aller ? Comment devait-il agir ? La dame semblait gentille, mais
pourquoi son père le laissait-il tout seul ? François-Xavier eut envie de
pleurer.
— Allons, on te mangera pas, dit Anna en lui adressant un sourire. Ti-Georges !
cria-t-elle tout à coup en direction du long escalier qui semblait monter
jusqu’au ciel.
Jamais François-Xavier n’avait vu une si belle maison. L’escalier était bordé
par une rampe aux barreaux torsadés qui se terminaient par une grosse boule de
bois verni, du même ton brun foncé que les marches.
— Ti-Georges ! cria de nouveau la mère. Descends t’occuper du p’tit voisin !
Ti-Georges, c’est mon dernier, j’pense qu’y a le même âgeque
toé à peu près. Vous allez ben vous entendre, expliqua Anna à François-Xavier,
qui n’avait pas encore soufflé mot. Ti-Georges ! Combien de fois j’t’ai dit de
pas courir, pis de te tenir quand tu descends ! chicana-t-elle à la vue de son
fils dévalant les escaliers sans se soucier des recommandations de sécurité de
sa mère. Tu vas finir par débouler pis te casser la margoulette. Toé, j’te jure
c’est des pelures de patates que le p’tit Jésus aurait dû t’apporter à matin,
dit-elle avant de s’en retourner s’affairer aux préparatifs du repas.
Il restait encore tant de choses à faire. Dieu sait qu’elle
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