La complainte de l'ange noir
et recula, en s’efforçant d’apaiser l’homme du geste, atterré devant la rage qui flamboyait dans ses yeux.
— Elle est morte ! explosa Monck, la voix rauque. Elle est morte ! Et ce maudit pasteur ou ces pastoureaux de malheur ne pourront pas la faire revivre !
Empoignant violemment les rênes, il éperonna son cheval et partit à bride abattue vers le manoir.
— Messire ! cria Ranulf en accourant vers son maître. Messire ! Que se passe-t-il ?
Corbett hocha simplement la tête.
— Rien, rien du tout !
Et puis il se souvint des histoires qui circulaient sur Monck – ragots de chancellerie, commérages de cour...
— Il est fou à lier ! bougonna Ranulf.
— Peut-être !
Maître Joseph revint avec un éfourceau {15} tiré par un âne. Maltote et Ranulf y déposèrent délicatement la dépouille tandis que Gurney envoyait son garde-chasse prévenir les villageois.
— Raconte-leur ce qui est arrivé ! lui ordonna-t-il. Le père Augustin va placer le corps dans l’église.
Le triste cortège s’ébranla, la charrette brinquebalant et tressautant sur le sentier qui menait à Hunstanton. Ils contournèrent le manoir et arrivèrent peu après au bourg. Les cahots de la voiture, dans la large rue principale creusée d’ornières, donnaient étrangement un semblant de vie au cadavre dissimulé sous une couverture. À l’entrée de Hunstanton, Corbett vit s’assembler une petite foule, les femmes et les enfants en premier, puis les hommes qui accouraient des champs, chausses et surcots maculés d’une glaise épaisse et sombre. Derrière eux trottinaient des gamins, tenant les frondes avec lesquelles ils décourageaient les freux affamés. Corbett scruta les rudes visages rubiconds, burinés par le vent froid et salé. La peur qu’il lut dans leurs yeux l’emplit de compassion. Les villageois s’agglutinaient sans un mot autour de l’éfourceau et lançaient des regards torves à leur seigneur. Celui-ci ôta son capuchon et mit pied à terre. De la main, il fit taire les gémissements sourds et les jurons sous cape.
— Marina – que son âme repose en paix ! — a été assassinée d’horrible façon sur la lande. Je jure, par Dieu et par le roi, que nous retrouverons son meurtrier et que nous le pendrons.
— Que faisait-elle là-bas ? cria quelqu’un.
Personne ne répondit. Mais un homme trapu et lourd, suivi d’une femme dévorée d’angoisse, surgit et se fraya un chemin jusqu’à la charrette. Il ne jeta qu’un coup d’oeil au corps avant de se détourner, le poing crispé sur la poitrine, les doigts enfoncés dans son tablier de cuir. Il tenta d’empêcher son épouse de voir ce que lui-même avait vu, mais la femme se débattit et resta un long moment à contempler le cadavre. Puis elle s’affaissa sur les pavés, et de sa bouche ouverte jaillit la plainte la plus déchirante qu’eût jamais entendue Corbett.
— Mon enfant ! Oh non, pas ma Marina !
L’accent de la campagne rendait ses cris plus poignants encore. Elle commença à se frapper la tête contre la roue de la charrette. Son mari tenta de la relever, mais elle le repoussa à nouveau, le capuchon glissant sur ses fins cheveux gris. Elle se jeta sur Gurney, agrippant son habit.
— Qui a fait ça ? hurla-t-elle. Qui a osé faire ça ?
Ses affreux sanglots mirent un terme au brouhaha.
Gurney regarda le mari.
— C’est bien Marina ?
Le tanneur opina du chef, les larmes ruisselant sur ses joues.
— Je veux que justice me soit rendue, Messire ! murmura-t-il.
— Elle le sera, Fulke !
Le malheureux père se tourna vers le prêtre.
— Vous l’enterrerez, n’est-ce pas, mon père ?
— Oui, Fulke. Elle reposera en terre consacrée.
Le tanneur joua des coudes pour arriver près de Maître Joseph qui observait la scène en silence.
— Vous aviez promis de veiller sur elle ! dit-il amèrement.
Maître Joseph ne recula pas, malgré les grommellements menaçants qui s’élevaient autour de lui.
— Et j’ai tenu ma parole, Fulke. Mais Marina a voulu absolument retourner au bourg hier soir. Il fallait qu’elle vous voie, ou du moins, c’est ce qu’elle a prétendu. Peut-être désirait-elle rendre visite à quelqu’un d’autre ?
— Où est Gilbert, le fils de la sorcière ? brailla une voix.
— Pas ici, lui fut-il répondu.
Corbett se pencha vers le père Augustin.
— Qui est ce Gilbert ?
— Son amoureux, ou plutôt celui qui l’aimait. Un
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