La complainte de l'ange noir
la fin du mois, une place à bord d’un bateau en partance pour la Terre sainte. Elle aurait pu être à Bethléem pour la Noël.
Corbett chuchota à l’oreille de Gurney qui annonça rapidement :
— Sir Hugh Corbett désirerait vous poser certaines questions.
Le magistrat se leva.
— Maître Joseph, lorsque Marina vivait à l’Ermitage, quelqu’un de l’extérieur a-t-il cherché à la rencontrer ?
— Oui, Gilbert, le fils de la vieille sorcière.
— Est-ce que Marina est allée à la porte bavarder avec lui ?
— Oui, à deux reprises. Mais la dernière fois qu’il est venu, elle a refusé de le voir.
— Et quelle fut la réaction de Gilbert ?
— Il en a été courroucé et un peu vexé, mais il est reparti sans faire d’histoires.
— Maître Joseph...
Corbett ébaucha un sourire, conscient de l’attention que lui portaient les villageois. Ces derniers, en effet, se poussaient du coude pour se signaler mutuellement ce personnage influent, ce représentant du roi, qu’ils considéraient avec une admiration craintive, mêlée de cette profonde défiance réservée aux étrangers.
— Maître Joseph, répéta Corbett, je me dois de vous poser cette question : un membre de l’Ermitage s’est-il absenté hier soir ?
— Non. Maître Nettler peut témoigner que je suis resté à l’Ermitage et inversement. Les autres membres feront de même.
Maître Joseph se tourna vers son seigneur :
— Sir Simon, nous travaillons sur vos terres depuis plus d’un an et, comme vous le savez, nous avons l’autorisation de nous en aller au printemps.
À ces mots, les villageois poussèrent un grand soupir de désolation.
— Nous n’avons jamais abusé de votre hospitalité ni de celle du bourg, jamais menti ou participé à une félonie. Je déclare cela haut et fort pour que celui qui ne serait pas d’accord le dise maintenant.
Il s’interrompit et embrassa du regard l’assistance silencieuse.
— Bien ! dit-il, avant d’ajouter posément : Et je ne vous mens pas à présent, par ma foi !
Corbett se rassit, satisfait. Son interrogatoire achevé, Maître Joseph sortit discrètement de l’église. Ce fut au tour de Fulke, le tanneur, de témoigner. Il identifia le corps de sa fille et certifia qu’elle était heureuse à l’Ermitage. Puis il précisa qu’on n’avait pas retrouvé sur le cadavre un petit collier d’ambre, cadeau de sa femme et de lui.
— Elle le portait toujours autour du cou, déclara-t-il d’une voix sans timbre. Et maintenant, il s’est envolé... comme son âme.
Il regagna sa place sous les encouragements. D’autres villageois apportèrent leurs témoignages. Ils firent des allusions réitérées à Gilbert en racontant comment il avait, plus d’une fois, accusé violemment les pastoureaux de lui avoir pris Marina, combien elle lui manquait et comment, lors d’une occasion mémorable, il avait juré qu’elle ne quitterait jamais Hunstanton.
Corbett s’aperçut du malaise grandissant de Gurney devant les accusations répétées des villageois, selon lesquelles Gunhilda, la mère de Gilbert, décrite à présent comme une sorcière notoire, aurait prêté main-forte à son fils. Peut-être était-ce elle qui commettait le sacrilège de piller les tombes.
— Les sorciers et les Maîtres de Sabbat utilisent souvent les os et les crânes des morts ! lança une voix de crécelle.
On convoqua ensuite le père Augustin.
— Je ne saurais affirmer, répondit-il à une question de Gurney, que Gunhilda ou son fils soient les pilleurs des tombes. Cela dure depuis un an et semble n’avoir ni rime ni raison.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Parce que les tombes profanées, loin d’être récentes, datent souvent de plusieurs dizaines d’années et qu’il n’y reste que des os.
— Y a-t-on pris quelque chose ? demanda Corbett.
— Rien, à ma connaissance.
La nuit tombait et l’église s’assombrissait. Gurney résuma les témoignages avec concision. Les jurés se retirèrent et revinrent peu après, regroupés derrière leur bailli, Robert Fitzosborne, à l’air aussi suffisant, comme le souffla Ranulf à son maître, qu’un coq sur son tas de fumier.
— Vous avez rendu votre verdict ?
— Oui, Messire. Marina, fille de Fulke le tanneur, a été assassinée par Gilbert avec l’aide et la complicité de sa mère Gunhilda. Nous exigeons qu’ils soient arrêtés et traduits devant la cour pour y encourir la
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