La complainte de l'ange noir

Southwark. Tu t’appelais comment, à l’époque ? Un nom français. Ah, oui ! Alphonse ! J’étais là. Tu étais le Maître des Plaisirs.
    Ranulf s’approcha du prisonnier.
    — Je n’oublie jamais un visage, mais j’avais du mal à me le rappeler clairement.
    Ranulf lança un sourire d’excuse à Corbett.
    — Cette nuit-là m’a laissé de forts plaisants souvenirs. Combien de noms d’emprunt as-tu utilisés ?
    — Plus que tu n’as d’esprit ! ricana Maître Joseph qui apostropha Corbett : Ai-je votre parole, Sir Hugh ?
    — Cela dépend des renseignements.
    Le hors-la-loi faillit refuser le marché mais se ravisa et, avec un geste désabusé, s’avança en traînant les pieds.
    — Cela fait dix-huit mois que j’habite la région. Tout le monde parle du trésor. J’ai entrepris des recherches, moi aussi, mais n’ai rien trouvé. Et puis vous et ce clerc geignard à l’allure de corbeau, vous êtes arrivés et avez commencé à poser des questions sur Alan of the Marsh.
    — Comment as-tu appris son existence ? l’interrogea Corbett.
    — Donnez-moi votre parole pour ma femme et mon enfant.
    Corbett le dévisagea fixement en se mordillant les lèvres.
    — Je veux votre promesse ! Votre promesse solennelle devant témoins.
    — Tu l’as !
    — Allez à l’Ermitage ! Vous y trouverez tout ce que vous voulez savoir sur Alan of the Marsh. J’ai bien votre parole, n’est-ce pas ?
    Corbett le rassura du geste avant de crier :
    — Emmenez-les !
    Une fois la porte refermée, il rejoignit Blanche pour lui murmurer :
    — C’est fini !
    La jeune femme contempla la pièce autour d’elle.
    — Non, Sir Hugh, cela ne fait que commencer. Maître Joseph va être pendu. Vous, vous allez regagner Londres. Mais moi, demain matin, je devrai retourner au bordel de Bishop’s Lynn.
    — Vous n’y êtes pas forcée. Elle eut un pauvre sourire.
    — Oui, je le sais ! Mais voyez-vous, Messire, si je rentre au village, qu’est-ce qui m’attend ? Les travaux des champs qui me briseront les reins ? Des regards narquois jusqu’au jour de ma mort ? Non ! Autant revenir à Bishop’s Lynn.
    Elle lissa les plis de sa robe.
    — Je réfléchirai. Peut-être qu’un jour... Mais demain, je repartirai.
    Elle jeta un bref coup d’oeil à Gurney :
    — M’accorderez-vous une escorte, Messire ?
    — Bien sûr !
    — Et vous ne direz rien à mon père, n’est-ce pas ? Gurney le lui promit d’un geste et Corbett la regarda quitter la pièce.
    — Tout le village va être au courant, murmura Ranulf.
    — Cela va de soi, confirma Gurney avec un soupir. Dans une petite commune comme celle-ci, la rumeur se répand comme un feu de paille. Nous allons vous laisser, Hugh. Je vous ferai porter à manger dans vos chambres. Cela vous convient-il ?
    — Oui.
    Gurney s’adressa à Ranulf :
    — M’accompagneras-tu ?
    — Où ?
    — À l’Ermitage. Il est de mon devoir d’annoncer sa dissolution à cette prétendue communauté. Certains membres pourront rentrer chez eux à pied, je donnerai de l’argent aux autres.
    Gurney se tourna vers Corbett :
    — Et leurs biens ?
    — Qu’ils les emportent, suggéra le clerc. L’endroit sera complètement mis à sac par les villageois sitôt la nouvelle connue. Je ne pense pas que Maître Joseph y ait dissimulé ses richesses. Il faudra des mois à l’Échiquier pour les retrouver : une maison par-ci, un dépôt chez les banquiers par-là ! Notre prisonnier est un criminel de grande envergure et je crois que sa mort sera moins douce qu’il ne le souhaite.
    — Son complice sera-t-il amnistié ? s’enquit Ranulf.
    — S’il chante ce que veulent les juges, il passera probablement quelques mois en prison avant d’être banni à vie.
    Corbett eut un sourire amer.
    — Il y a gros à parier qu’il connaît assez de capitaines de bateau pour partir à l’étranger sans problème.
    Corbett posa le poignard de Blanche sur la table.
    — Ranulf, accompagne Sir Simon !
    Corbett quitta la grand-salle. Il comprit aux chuchotements anxieux et aux mines des serviteurs que l’histoire avait déjà transpiré. Gilbert, libre à présent, se dandinait d’un pied sur l’autre et souriait béatement à Alice qui le pressait d’accepter nourriture et piécettes. Corbett regagna sa chambre. Il réfléchit, assis sur son lit, aux jeunes vies qu’avaient détruites Maître Joseph et son acolyte. Puis il s’allongea, le regard