La complainte de l'ange noir
simple : pas de questions, pas de taxes et pas d’objections.
— Les jeunes pouvaient protester ! gémit Nettler.
Ce fut la seule fois où il essaya de se défendre.
— Avez-vous tenté d’échapper à un capitaine de navire que l’on a payé grassement pour vous surveiller ? Ou de fuir un lupanar de Marseille ou de Salerne, ou encore un harem ottoman ? Et en admettant que vous vous soyez enfui, où aller ? Si vos maîtres ne vous rattrapent pas pour vous tuer, d’autres s’en chargeront. Comment une paysanne de Hunstanton pourrait-elle se rendre de Marseille à Dieppe ? Elle ne parle aucune des langues ou patois de ces régions. Et quand bien même elle parviendrait à raconter son histoire, qui la croirait ? Nos braves compères affirmeraient qu’elle a sauté du bateau, ou que, lasse de sa vocation religieuse, elle a décidé de chercher fortune ailleurs. Et même si on lui prêtait foi, il faudrait des années pour le prouver. Et Maître Joseph aurait encore changé de nom et de province, voire de pays. Par Dieu, Sir Simon, vous savez le temps qu’il faut pour obtenir justice, ne serait-ce qu’à propos d’une aune de tissu !
— Alors, quel fut le grain de sable ? demanda Gurney.
— Moi ! s’écria Blanche en se retournant, pâle de colère. C’est moi qui fus le grain de sable. Sir Hugh a raison. Regardez-moi, Sir Simon ! J’ai trop honte pour rentrer chez moi, et même alors, qui me croirait ? Pourquoi irais-je déshonorer mes parents ? J’ai volontairement rejoint les pastoureaux. Ce suppôt de Satan avait organisé mon voyage. Mais j’ai eu de la chance, poursuivit-elle, la gorge nouée : à bord du navire, je surpris une conversation entre le capitaine et le second. Sans qu’ils s’en doutent, je m’étais tapie dans l’ombre du château arrière, et, accroupie comme un animal, j’appris quel sort m’était réservé...
Elle cracha à la figure de Maître Joseph.
— Ils parlaient de moi comme d’une marchandise. J’avais eu des soupçons, de vagues soupçons, à cause de la façon dont le capitaine me lorgnait parfois, mais je mettais cela sur le compte de pensées impures.
Sa voix se fêla légèrement, mais elle poursuivit, les yeux rivés sur Corbett :
— On était en automne. Une tempête se leva et le navire dut remonter la Tamise. Je sautai du bateau près de Queenshithe. Les gens du Norfolk sont bons nageurs : je rejoignis le rivage à la nage.
Elle se tordit les mains.
— Je dus mendier au début. Des religieuses et des franciscains me recueillirent avec bonté. Mais il y a trop de bouches affamées à Londres, souffla-t-elle avec un haussement d’épaules. Une nuit, un marin tenta d’abuser de moi. Il était ivre ; je lui volai son argent et m’achetai des vêtements. Puis je rencontrai un marchand de Cheapside.
Elle baissa la tête.
— En quelques mois, j’avais amassé assez d’or pour revenir à Bishop’s Lynn. La honte m’empêcha de rentrer dans ma famille. Comme je l’ai dit, qui m’aurait crue ? Mais je voulais me venger. Si seulement j’avais eu suffisamment d’argent pour engager un tueur qui aurait abattu ce démon et son âme damnée !
Elle tritura l’ourlet de sa manche.
— J’avais un orfèvre parmi ma clientèle ; par son entremise, je fis parvenir certaines sommes à ma famille. Et j’envoyai un message à Marina. Je le confiai à un colporteur en lui promettant d’autres pièces s’il revenait et en lui décrivant soigneusement Gilbert et le vieux chêne.
Elle se laissa tomber sur un tabouret et ajouta d’une voix faible :
— Ce n’est pas ainsi que j’aurais dû m’y prendre ! Marina essaya de s’échapper.
Corbett s’approcha de Maître Joseph et le souffleta de toutes ses forces.
— Tu l’as amplement mérité, misérable ! dit-il calmement.
Puis il le gifla de nouveau et du sang apparut sur les lèvres du prisonnier.
— Voilà pour Marina que tu as assassinée !
— Mensonges ! hurla Maître Joseph.
— Non ! C’est la pure vérité, félon ! siffla Corbett.
Il se dirigea vers Philip Nettler et le regarda avec mépris.
— Tous les deux, vous allez vous balancer au bout d’une corde, vous le savez ?
Nettler se contenta de geindre. Corbett s’accroupit près de lui.
— Tu vas être pendu ! lui murmura-t-il. Quand les juges instruiront cette affaire, ils exigeront une enquête plus approfondie. Tu subiras la question jusqu’à ce que tu révèles
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