La complainte de l'ange noir
chapelain allait soulever des objections lorsque l’intendant entra pour annoncer que le souper était servi. Ils prirent place dans une atmosphère tendue et fiévreuse qui le devint plus encore quand Fourbour apparut sur le seuil, essoufflé et se confondant en excuses pour son retard.
Gurney l’invita à s’asseoir. Puis le père Augustin récita le bénédicité et le repas commença. Sir Simon et Lady Alice étaient perplexes, voire effrayés. Catchpole, arrivé de son pas martial après le bénédicité, montrait un visage impassible. Selditch ne laissait rien paraître. Fourbour arborait une mine anxieuse et apeurée. Le père Augustin ne cachait pas son agacement devant cette invitation au pied levé. Corbett ne touchait pratiquement pas aux mets. Soudain Gurney ne put en supporter davantage : il frappa la table de son gobelet et foudroya le magistrat du regard.
— Hugh, vous avez exigé notre présence à tous, ce soir. Expliquez-nous pourquoi.
— Comment ? C’est lui qui nous a convoqués ? s’exclama le prêtre. Qu’est-ce que cela signifie ?
— Ce que j’ai à dire ne manque pas d’intérêt, je crois, répliqua Corbett. D’abord, je sais qui a commis tous ces crimes.
— Les pastoureaux, n’est-ce pas ? bêla Fourbour.
Corbett, la mine sombre, hocha la tête.
— Oh, non ! Ce sont des calomnies !
Il fit rouler une miette de pain sur la table.
— Et – chose plus importante – je pense avoir retrouvé le trésor du roi Jean.
CHAPITRE XIII
Les convives en restèrent bouche bée. Les yeux s’écarquillèrent. Selditch fut le premier à reprendre ses esprits :
— Où se trouve-t-il ?
— Je vous le dirai tout à l’heure.
— Mais c’est absurde ! éclata Gurney.
— Où est-il ? répéta Selditch. Où, pour l’amour de Dieu ?
— Veuillez répondre à certaines questions d’abord, reprit Corbett. Lady Alice, votre parfum ?
— Oui, Hugh ? Quel rapport entre mon parfum et le... ?
Elle n’acheva pas sa phrase.
— C’est lui que j’ai respiré hier, lorsque je fus attaqué à l’Ermitage. C’est un parfum fort agréable, précisa-t-il avec un léger sourire, que j’ai toujours associé avec votre personne.
— Par le ciel ! s’écria Gurney. Insinuez-vous que mon épouse vous a agressé ?
— Que non, Sir Simon ! J’ai simplement dit que j’ai senti son parfum.
— Ce qui revient au même ! grogna Catchpole du bas bout de la table.
Le père Augustin, assis près de la maîtresse de maison, regarda le magistrat de travers.
— Prétendez-vous que Lady Alice se trouvait à l’Ermitage ? lui demanda-t-il d’un ton péremptoire.
Corbett poussa un soupir d’exaspération.
— Lady Alice, vous a-t-on jamais dérobé du parfum ?
— Bien sûr que non !
— Comment le gardez-vous ?
— En imbibant de petits sachets de lin, de laine ou de velours. Quelles questions, Hugh, je vous en prie !
— En avez-vous jamais offert à quelqu’un ? insista Corbett.
Lady Alice porta soudain la main à ses lèvres : un souvenir lui était revenu.
— Oui, en effet. Il y a quelque temps. Vous rappelez-vous, Maître Fourbour, je me suis rendue dans votre boulangerie. Votre épouse était si pâle et si malheureuse que j’ai eu pitié d’elle. Pauvre petite ! Que Dieu ait son âme ! Je lui ai parlé et elle a fait une remarque sur la douceur de mon parfum. Je lui ai donné des sachets qu’elle a rangés dans son aumônière.
Le visage déjà terreux de Fourbour était devenu blême.
— Je ne l’ai pas oublié, Lady Alice ! bégaya-t-il avant d’apostropher Corbett. Mais par la Sainte Croix, Messire, que voulez-vous suggérer ?
— Rien ! répliqua le magistrat. Un point de détail que je viens d’éclaircir. Vous comprenez, l’assassin d’Amelia Fourbour portait ces sachets de parfum sur lui. N’ai-je pas raison, mon père ?
Le chapelain agrippa la table, les yeux fixés sur le clerc. Ses traits se creusèrent tout d’un coup.
— Que dites-vous là ?
— Je vais vous raconter une histoire, annonça Corbett, qui commence bien avant notre naissance à tous. Un roi tenta un jour de traverser le Wash avec son trésor. Un traître, du nom de Holcombe, en déroba une partie et s’enfuit pour partager le butin maudit avec son beau-frère, Alan of the Marsh, intendant du seigneur d’alors, Sir Richard Gurney. Alan of the Marsh connaissait les landes désolées du Norfolk et tous les lieux
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