La confession impériale
moustiques.
Quant à l’armée danoise, elle avait disparu, à
moins qu’elle ne se fût jamais montrée en ces lieux.
Hemming n’avait pas
fini de me surprendre : il me proposa, un mois après cette affligeante
campagne à la poursuite de fantômes, une entrevue sur l’Eider. Je faillis lui
répondre que ma candeur avait ses limites et que je n’attendais de lui qu’une
explication sur le terrain. Il me témoigna tant de bonnes résolutions que je
finis par me laisser convaincre, bien décidé, au cas où il tenterait de me
berner une nouvelle fois, à lui donner une sévère leçon.
Trop las pour faire moi-même ce long voyage,
j’en confiai le soin à Charles et à Walla.
L’entrevue eut lieu par un beau jour de fin
d’été, sur une rive de l’Eider. Douze chefs danois se trouvèrent en présence
d’un nombre égal des nôtres. Des promesses de paix furent échangées après force
libations de bière et des festins de sangliers et de cerfs rôtis à la broche.
Il aurait fallu que
je fusse bien sot ou naïf pour cautionner ces épanchements d’après boire, et
bien imprudent pour ne pas m’en méfier. Je ne leur accordais pas plus de crédit
qu’aux promesses du roi Didier et aux soumissions fallacieuses des chefs
saxons.
L’automne qui suivit, malgré les douleurs que
provoquaient en moi les longues chevauchées, je quittai Aix sous des pluies
diluviennes pour inspecter une fois de plus, la dernière sans doute, les
défenses côtières du nord de la Francie, en laissant à Louis le soin de
s’occuper de celles de l’Atlantique.
À Boulogne, j’eus la satisfaction de constater
que les chantiers navals connaissaient une belle activité. Quelques nefs et des
navires de charge étaient prêts à prendre la mer. Je donnai des consignes pour
faire restaurer le phare, y entretenir un feu permanent, et exigeai que mes
comtes se tinssent sur pied de guerre pour pallier tout débarquement des
Danois.
À mon grand dam, le
roi Hemming montait en puissance, mais son règne allait être bref. Il allait
être victime d’un personnage du palais royal, Harald, qui avait comploté contre
lui et l’avait livré à ses sicaires : des méthodes qui rappellent
singulièrement les mœurs byzantines. Il s’était ensuivi une guerre civile qui
avait fait des milliers de victimes.
Je ne sais d’où
venaient les vents violents qui soufflaient sur ces foyers de guerre et
faisaient craindre un embrasement général. Les tribus entières, Obodrites,
Wilzes, Linons, Sorabes quittaient leurs villages et partaient pour en découdre
avec leurs voisins, sous l’œil perplexe de mes comtes qui se refusaient à
prendre parti dans cette infernale danse guerrière.
J’envoyai Walla, à la tête d’une petite armée,
tenter de ramener l’ordre dans ce tohu-bohu. Il fut satisfait de constater que
nos garnisons étaient restées sur leur réserve, se contentant de renforcer
leurs retranchements par des palissades de pieux et de construire de nouveaux
fortins aux endroits névralgiques.
Avais-je demandé à
Charles, au cours de ces dernières années, trop de sacrifices ? Il était
robuste, soit, et fier, à n’en pas douter, de la confiance que je lui
témoignais. Conscient d’avoir à coiffer un jour prochain la couronne impériale,
il s’était donné avec une ardeur surhumaine aux missions que je lui avais
confiées, et chacun de ses rapports me rassurait sur ses compétences et ses
convictions.
Un soir de décembre de l’année 811, à Aix,
j’étais occupé à dicter à Éginhard un courrier à l’intention de Louis quand des
bruits de sabots et des hennissements retentirent dans la cour, alors que la
nuit tombait et que la ville baignait dans le brouillard.
Deux officiers emmitouflés dans leur manteau
gorgé de pluie firent irruption dans mon cabinet et, un genou à terre, d’une
voix brisée, m’annoncèrent la mort de Charles. L’émotion faillit me faire
perdre connaissance, mais je me repris vite pour leur demander des détails sur
les circonstances de cet événement tragique.
De retour avec une escorte de cavaliers d’un
voyage à Hambourg, sur l’estuaire de la Weser, pour des affaires relevant du
commerce, Charles avait fait halte dans un village afin de se restaurer et
faire prendre du repos aux chevaux. À peine était-il descendu de sa selle, il
s’était affalé dans la boue. Transporté dans la maison d’un notable, il était
mort moins d’une heure plus tard, son cœur
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