La confession impériale
Charles devint mon premier
enfant légitime.
Elle était aux petits soins pour moi, veillant
à la qualité de mon linge, refrénant ma passion pour la chasse, qu’elle jugeait
dangereuse, écartant les visiteurs importuns. Elle portait une attention particulière
à mon alimentation. Ayant appris mon goût pour le fromage, elle en fit venir de
divers points du royaume, au risque de les voir se gâter en cours de route. Elle
choisissait ma bière et mon vin avec la même exigence, pétrissait et cuisait
mon pain, faisait le tri dans les fruits dont je faisais une forte
consommation.
Toutes ces attentions m’excédaient. Si parfois
je lui montrais de l’humeur, elle le prenait en bonne part et nous ne faisions
qu’en rire.
Quelques ombres
allaient brouiller cette belle entente.
Je lui avais caché la liaison à long terme que
j’avais entretenue avec Himiltrude, fille d’un de mes grands vassaux des
marches de la Frise méridionale. J’étais si épris d’elle que, me gardant d’en
informer ma famille, je l’avais épousée secrètement, à la mode germanique.
Himiltrude m’avait donné un fils qu’elle avait
tenu à appeler Pépin, comme son grand-père. C’était une créature chétive,
affligée d’une malformation congénitale et d’une bosse, mais doté d’un visage
angélique.
Une servante ayant trahi ce secret, ma mère
m’avait imposé, après mon premier mariage avec Desideria, de me séparer de ma
concubine et de son enfant qui avait alors six ou sept ans. Je m’opposai à ce
qu’Himiltrude fût cloîtrée. J’avoue qu’entre mon mariage avec Desideria et
celui avec Hildegarde, je ne me privai pas d’aller rejoindre ma concubine dans
sa masure.
Parenthèse :
Éginhard :
— Sire, est-ce
bien convenable de faire état de ces dévergondages. Votre récit n’y gagne rien,
et…
— Cela
m’importe au plus haut point, mon ami. Ne t’ai-je pas dit que je tenais à
révéler toute la vérité sur mon existence. Himiltrude a beaucoup compté pour
moi, je le confesse.
Il subsistait, dans
toutes mes possessions, et jusque dans mon entourage, des ferments de paganisme
auxquels je n’attachais pas encore beaucoup d’importance car ils ne risquaient
pas de compromettre les progrès des missions et la persistance de la foi
chrétienne.
Il ne me déplaisait pas de voir des apprenties
sorcières se rouler nues dans la rosée du matin, des vieilles faire brûler des
herbes en bredouillant des incantations dans une langue oubliée, des groupes
d’esclaves de la Saxe ou de la Frise célébrer, les nuits de pleine lune, le
culte des forêts et des fontaines autour de statuettes informes…
Ces pratiques devinrent insupportables à mon
épouse comme elles le furent pour sa famille qui en avait expurgé sa
domesticité. Elle y voyait, me dit-elle, la résurgence dangereuse de cultes
barbares qui risquaient de contaminer la population et de nuire à la sainte
Église.
Je lui reprochais cette sévérité
dogmatique ; elle boudait ou répliquait vertement que je ne pouvais
« tolérer cette vermine qui grouillait dans les plis de mon manteau
royal ».
Une autre querelle
confirma la différence de nos natures, à propos de l’adoration des saints, la
« légion du Seigneur », pour reprendre son expression, devenant pour
moi envahissante.
L’Église accepte de sanctifier d’humbles
ermites dont certains se prennent pour Moïse au Sinaï ou Antoine au désert,
attendant que Dieu leur fasse un signe de reconnaissance. Ce sont pour la
plupart des demeurés, des fainéants, des déments ou des imposteurs qui vivent
de la charité et de la naïveté des populations rurales comme des chancres sur
le tronc de la foi. Rome fait preuve de trop de complaisance pour le témoignage
de miracles supposés qui ne sont que supercherie ou tour de magie. Je n’ai que
mépris pour cette engeance misérable.
Mon épouse et moi nous accommodions de ces
dissensions qui ne risquaient pas de dégénérer en conflit et se terminaient la plupart
du temps par des embrassades ou des étreintes.
Je m’attendais au
pire du côté de l’Italie, après ma séparation brutale d’avec Desideria. Je
connaissais trop bien le caractère hautain et rancunier du roi Didier pour
croire qu’il allait sans réagir digérer cet affront.
Persuadé, à tort, que le nouveau pape, Adrien,
allait tolérer ses volontés d’hégémonie, il en prenait à son aise et engageait
sa barque dans une mer hérissée de
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