La confession impériale
m’était d’autant plus légère
que la pauvre princesse, outre qu’elle n’avait rien pour me séduire, était
stérile. Les médecins à qui je la confiai avaient été catégoriques. Notre union
avait duré moins d’un an et la répudiation fut acceptée de tous.
Je pris une autre
décision qui me fut plus pénible : rompre mes relations avec ma mère et
garder mes distances avec Carloman.
Mon frère était à son tour passé sous les
fourches caudines de sa génitrice en acceptant d’épouser une autre fille de
Didier, Gerberge, bâtarde, disait-on, extraite par son père, au moment
opportun, du gynécée des concubines. Cette belle et grande fille mâtinée de
bavarois avait tout pour le circonvenir, notamment en ne lui refusant jamais
ses faveurs, et ce diable de Carloman était fort porté sur les délices
charnelles.
J’étais aussi envieux de sa chance que ce
piètre souverain était jaloux de mon pouvoir. Notre mère, plus souvent chez
lui, à Soissons, qu’à Noyon, chez moi, veillait sur son rejeton nuit et jour,
avec une attention de mère poule dont elle ne m’avait donné les marques qu’en
de rares occasions.
Avec la meilleure volonté du monde, j’avais
tenté des approches pour faire en sorte que nos deux royaumes forment un bloc
capable de répondre aux provocations des peuplades du Nord, des Saxons
notamment, et aux éventuelles velléités d’hégémonie de l’Empire d’Orient.
Carloman faisait la sourde oreille. Le pauvre garçon, de plus en plus sous la
coupe de sa mère et des officiers palatins, vouait à son beau-père, Didier, une
sorte de vénération qui confinait à l’idolâtrie.
Il avait renoncé depuis peu à faire de
Soissons sa résidence favorite ; il lui préférait une vaste et opulente
villa proche de Laon, en marge d’une forêt giboyeuse.
En l’espace de
quelques mois, deux graves événements allaient assombrir mon existence.
Au début de l’hiver, l’année 771, alors qu’il
était encore dans la fleur de sa jeunesse et fort épris (trop peut-être) de sa
femme, Carloman quitta notre monde, alors que rien ne le laissait prévoir.
Notre mère, accablée de chagrin, ne put m’en dire plus, sinon me confier entre
deux sanglots qu’elle considérait comme un devoir de suivre dans la tombe son
fils chéri, ce qu’elle se garda de faire. Quant à moi, je ne versai pas une
larme, persuadé qu’à la longue, à cause d’une aversion déclarée de sa part,
Carloman et moi nous serions affrontés par les armes.
Cette disparition, je ne pouvais me le cacher,
était pour moi providentielle.
Les deux enfants mâles que mon frère avait eus
de Gerberge étaient encore au berceau. Leur mère étant inapte à régner, la
régence du royaume de Carloman échut à ma mère qui, vieille et souffrante,
avait perdu son bel entrain et ses ambitions.
Sans daigner m’en informer, ni personne
d’autre, Gerberge avait fait ses bagages et avait trouvé refuge à Pavie avec
ses enfants, auprès de son père, laissant le royaume de Carloman aux mains de
la reine Bertrade.
Informé de ces événements avec un retard d’une
semaine, j’avais échappé à la cérémonie des obsèques de mon frère, en la
basilique Saint-Rémi de Reims, et n’en conçus aucun regret.
Peu de temps après,
j’appris une nouvelle attristante : la mort du pape Étienne III. Les
circonstances de cette disparition brutale ne me furent jamais révélées, mais
je présume qu’une crise de rage contre les Lombards l’avait étouffé. Il me fut
révélé plus tard qu’en dépit d’actes de charité et de piété, il avait été un
pape « misérable », non qu’il eût été réduit à la mendicité mais en
raison de ses outrances.
Ce qui me faisait regretter sa mort, c’est la
détestation qu’il vouait à cette race « exécrable » : la
dynastie lombarde. L’histoire ne conservera de lui que son caractère
atrabilaire et ses excès de paroles. Quoi qu’il en soit, que Dieu l’ait en sa
sainte garde…
Le pontife qui lui
succéda, Adrien I er , héritier d’une famille noble de Rome, partageait
avec son prédécesseur la haine pour les Lombards, et pour leur roi en
particulier. Cette attitude m’était agréable mais elle pouvait devenir
dangereuse. Au cas où les événements prendraient une tournure difficile,
n’allait-il pas faire appel à mes services et m’engager dans une nouvelle
aventure à laquelle le patrice des Romains que j’étais ne pourrait
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