La confession impériale
mes hommes gisaient écrasés sous des
quartiers de roche.
Je fis achever les chevaux agonisants et me
mis en quête de mon neveu Roland. Geoffroy m’y aida.
Il se souvenait l’avoir vu, avant de rouler
dans le torrent, affronter avec Olivier, acculés à un chariot renversé qui
commençait à brûler, un groupe de Basques qui hurlaient leurs chants de mort.
J’aurais eu du mal à le reconnaître : outre qu’il avait eu la gorge
tranchée, son visage avait à moitié disparu sous des coups de bec ou de dents.
C’est à son épée que je pus l’identifier ; il avait gardé Durandal serrée
contre son flanc, comme pour la refuser aux assaillants. Je cherchai Olivier,
mais n’en trouvai aucune trace.
Autour de mon neveu gisaient Anselme, un de
mes officiers du palais, mon maître d’hôtel, et quelques proches que j’eus du
mal à reconnaître, mais Olivier n’était pas parmi eux.
J’allais le retrouver quelques jours plus
tard, alors que nous avions quitté Saint-Jean. Grièvement blessé, il était
passé pour mort. La nuit venue, il avait cherché refuge sous un abri de roche,
avec la crainte de voir les Basques retourner sur le champ de bataille pour faire
un supplément de butin et de subsistances avec le troupeau de bœufs, de moutons
et de chevaux morts.
Blessé à une jambe, incapable de marcher, il
était resté, me dit-il, deux jours dans sa cachette, ne se déplaçant que pour
aller boire au torrent ou chercher quelque nourriture dans les chariots, épuisé
pour avoir perdu beaucoup de sang, et somnolent.
— Sire, me dit-il, vous pouvez être fier
du comte Roland, votre neveu. J’étais à son côté et puis témoigner qu’il s’est
battu jusqu’à la limite de ses forces. J’ai dû insister pour qu’il fasse usage
de son oliphant pour demander votre aide. Il hésitait, disant que c’eût été une
faiblesse indigne de lui. Quand il s’y est résolu, il était trop tard.
Il ajouta en détournant la tête :
— Je n’ai pas assez de larmes pour le
pleurer. Nous étions les meilleurs amis du monde. Mieux encore : des
frères, bien que de nature différente. Nous nous affrontions souvent, mais nos
querelles se terminaient toujours par des embrassades.
Olivier, son épée
Hauteclaire au côté, se joignit à nous sur le chemin de la Francie. Furieux,
humilié, soucieux d’en savoir plus sur cette embuscade, je le harcelai de
questions, lui fis répéter les mêmes détails, comme ce coup d’épée qui avait
fendu jusqu’à la mâchoire la tête d’un guerrier, ou cette chanson que, par
défi, il avait entonnée au fort de la mêlée…
Ce désastre, je savais qui en était
l’auteur : un chef basque, Lope Fuela. Je gravai ce nom dans ma mémoire en
me jurant de le punir dès que l’occasion m’en serait donnée. Elle ne s’est jamais
présentée. J’en ai gardé le regret toute ma vie. Si j’étais parvenu à le
capturer, je l’aurais tué de mes mains.
Roland m’était devenu très cher. C’était un
des proches sur lesquels je savais pouvoir compter pour porter une armée à la
bataille. Je l’avais accueilli dans mon entourage à la fin de son adolescence,
peu après Olivier, fils du duc de Gênes. Mon neveu devenu adulte, je n’avais
pas hésité à lui confier, avec le titre de comte, la surveillance des marches
de Bretagne, en état d’alerte permanent. Il s’y était vaillamment comporté,
malgré sa propension à la versatilité et à des humeurs déconcertantes.
Je lui avais offert l’épée Durandal ;
elle allait le suivre jusqu’à la mort. Il s’en était servi contre les Bretons,
avec la fougue et la violence qui l’habitaient. Il me lança un jour, dans sa
langue verte de soldat, alors qu’il venait me faire ses rapports à
Quierzy : « Je ne puis supporter que ces sauvages me narguent,
viennent ravager mes terres et pisser sur ma porte ! Si je m’écoutais,
j’en ferais un massacre… » Il ne s’en était guère privé, quoi qu’il en eût
dit. Il souhaitait partir avec moi pour une expédition vers l’est, mais je l’en
dissuadai : il m’était trop utile là où je l’avais placé.
Au temps où ils se trouvaient dans ma suite,
les démêlés de Roland et Olivier m’amusaient. Souvent pour un mot mal
interprété, ils s’affrontaient sur le pré avec des épées de bois, jusqu’à
l’épuisement, et fêtaient leur réconciliation en buvant de la bière et du vin
avec des filles. Avant de partir pour la Bretagne,
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