La confession impériale
impériale
se serait mal accommodée d’une inertie qui n’était pas dans ma nature. J’allais
renouer avec les affaires, replonger dans les problèmes, avec ni plus ni moins
de conviction que du temps où je n’étais « que roi des Francs ».
Un calme relatif régnait dans mes États.
J’avais traité avec un faste inaccoutumé le khan des Avars, successeur de
Tudun, venu faire sa soumission dans mon palais d’Aix. Les chefs des
territoires du nord de la Germanie, Nordalbingie et Wihmodie, m’avaient
confirmé la leur. Du côté de Byzance, ciel sans nuages. En revanche, je n’en
avais pas fini avec les Maures de Cordoue et les Danois.
Le prestige que m’avait valu ma dignité
impériale semblait s’être dissipé dans le temps et l’espace. Peu de choses
avaient changé dans mes habitudes de gouvernement et dans le comportement de
mes vassaux.
L’année 804 allait m’apporter de rudes
épreuves.
Mon cher Alcuin, créateur de l’académie
Palatine et administrateur de mes écoles, le plus grand savant et lettré de son
siècle, la « gloire des poètes », venait d’expirer, à soixante-dix
ans, dans son abbatiale de Saint-Martin de Tours.
Il m’avait souvent parlé de l’Italie et de la
fondation à Parme, avec Paul Diacre et Pierre de Pise, d’un cénacle qui avait
rassemblé toutes les têtes pensantes d’Occident.
J’étais parvenu à l’attirer et à le retenir à
ma cour. Quel plaisir je tirais des lectures qu’il me faisait des auteurs de
l’Antiquité et de ses propres œuvres, malgré parfois leur aridité ! En me
parlant des origines du monde, des mystères des religions, des constellations
qui étaient, disait-il, « le manteau pailleté de Dieu », il avait introduit
dans ma conscience des notions dont je faisais mon profit. J’avais l’impression
de suivre ce Prince des Connaissances comme un canard boiteux suit un
cygne !
Il avait attaché un soin tout particulier à
faire enseigner dans mes écoles des rudiments de lecture et d’écriture qui
pouvaient extraire de leur condition misérable d’humbles fils de paysans et
d’artisans.
Je ne puis oublier qu’aux premiers jours de
son installation à ma cour, un soir d’hiver, en faisant griller des châtaignes,
il m’avait parlé de la Création, des espaces infinis où le navire Terre vogue à
l’aveuglette dans un océan sans fin, à travers des forêts de constellations, de
continents mystérieux où hommes et femmes vivent nus, se nourrissent de chair
crue, de racines et de fruits, et attendent que la main de Dieu vienne les
extraire de leur état bestial…
Il avait le don de donner à ses conceptions de
l’univers une forme imagée qui en faisait des poèmes. Il sema l’angoisse en moi
en me révélant que le temps et l’espace étaient infinis, ce que ma foi pouvait
difficilement admettre, mais dont ma raison s’accommodait.
Il était resté des années auprès de moi sans
qu’à aucun moment j’eusse à me plaindre de ses services. Il nourrissait des
nostalgies de sa ville d’York, en Angleterre, et de l’Italie où il avait fait
ses universités, mais se plaisait tant dans mes lieux de résidence qu’à aucun
moment il ne songea à me quitter, jusqu’à ce que le doigt de Dieu lui eût
montré la direction de Tours.
Il partit, laissant en jachère une partie de
mon esprit et de mon cœur. Pour le remercier de sa constance en amitié, je lui
offris une copie issue de mes scriptoria del’ Histoire
naturelle de Pline l’Ancien. Il laissa dans ma bibliothèque des traités de
théologie, des commentaires sur les Écritures et des poèmes, ainsi que des
chants de route pour mes armées.
Ses reproches sévères m’affligeaient. Il
supportait mal que mes mœurs dissolues me fissent oublier mes devoirs de
chrétien, que je témoigne trop d’indulgence envers les exactions dont se
rendaient coupables certains de mes proches qui, selon lui, auraient mérité la
corde ou la hache.
Parenthèse :
Éginhard :
— Sire, je ne
puis oublier quant à moi nos rapports difficiles. Je ne saurais contester ses
talents, mais il en faisait étalage avec un orgueil exaspérant. Sa mémoire
tenait du prodige, mais faisait office d’intelligence. Ayant beaucoup lu et
quelque peu voyagé, il avait beaucoup retenu. Quant à sa science, il la tenait
des auteurs anciens dont il faisait sa pâture sans discernement. Pour le dire
en quelques mots, il se parait des plumes du paon !
— Pense ce que
tu
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