La confession impériale
voudras, mon bon ami, mais je vénérerai sa mémoire. Il a fait du Barbare
franc que j’étais un souverain éclairé.
L’année 805 allait
de nouveau me tenir l’arme au pied. De nouvelles rébellions agitaient l’Est, à
croire que Dieu me refusait sa caution.
Contraint, malgré mon âge, à entreprendre une
nouvelle campagne, je pris un soin tout particulier à mon armée, notamment à la
cavalerie, sa force principale. Je créai des corps de milites dotés de
nouvelles cuirasses, de casques à nasal, de boucliers à la fois légers et
solides, de lances dont la base reposait sur un arçon… Je tenais à ce que ce
corps d’élite, par sa belle allure et sa puissance, fût capable d’impressionner
l’ennemi.
Pour une campagne ordinaire, les destriers et
les bêtes qui tirent nos chariots, bœufs ou percherons, se contentent de
brouter l’herbe le long des chemins et au cours des haltes. Pour celle que je
préparais et qui allait mener cette armée bien au-delà du Rhin, je négligeai de
faire provision de fourrage et allais le regretter.
J’étais sur le point de me mettre à la tête de
cette armée quand une attaque de rhumatismes me l’interdit. J’en laissai le
soin à Charles.
Il allait prendre la direction de la Bohême
dont les Tchèques menaçaient la frontière orientale. Je l’accompagnai en
chariot durant quelques milles et regardai avec amertume cette belle armée
défiler devant moi avec des saluts à la romaine qui embuaient mes yeux.
Ce fut une campagne
déconcertante. Charles n’eut pas à faire étalage de ses talents de chef
d’armée. Il n’avait trouvé en face de lui, entre la vallée de l’Eger et les
montagnes tchèques, que des déserts, à croire que la population s’était
dissoute dans la terre. Il dut se contenter de brûler des villages dépeuplés, de
ravager des cultures, d’enlever du bétail et de détruire des sanctuaires.
Piètre victoire…
Après plus d’un mois d’errances infructueuses,
le manque de fourrage s’était fait sentir et avait provoqué un retour
prématuré, sans le moindre butin. Une retraite ? Pas vraiment, mais une
campagne pour rien. Je me gardai de tenir rigueur à Charles de cet échec. Je
n’eusse pas fait mieux. La race belliqueuse des Saxons donnait souvent lieu à
de beaux faits d’armes et nous en ramenions des esclaves ; celle-ci ne
rapportait que du vent.
L’année 806, je
décidai de dicter mon testament : mon Divisio regnorum.
Les maux consécutifs à l’âge m’avaient
relativement épargné. Je me livrais encore, bien que de moins en moins, à des
chasses banales, prenais des bains quotidiens en toute saison, fréquentais la
salle d’armes pour relancer ce qui restait en moi d’énergie et de souplesse.
Deux ou trois fois par semaine, je confiais à des servantes le soin
d’agrémenter mes nuits. Je satisfaisais, en évitant les abus, aux plaisirs de la
table et ne dédaignais pas le vin ou la bière.
Le revers de la médaille avait de quoi
m’inquiéter. J’étais assailli fréquemment par l’impression d’une irrémédiable
solitude, d’un à quoi bon, comme disait Éginhard. Je n’aspirais pas à
quitter ce monde de mon plein gré, certain de n’avoir pas épuisé la réserve de
bonheur que Dieu m’avait consentie, mais je me détachais de plus en plus des
affaires de l’Empire. Ma correspondance et mes relations en pâtissaient. Il
m’arriva à diverses reprises de renoncer à recevoir des visites et des
ambassades, puis de regretter cette désinvolture.
C’est sans illusions que je me penchais sur
mon avenir. Le temps se réduisait comme une peau de chagrin, les journées
perdant de leur durée et de leur consistance.
En février, je choisis
Thionville pour y tenir les assises en vue du partage de l’Empire entre mes
fils. J’avais décidé de ne tenir aucun compte des protestations de mon
entourage : « Votre testament, déjà, alors qu’ingambe comme vous
l’êtes, vous pouvez espérer vivre aussi vieux que Mathusalem ! » Et cætera.
J’avais la chance d’avoir encore quatre fils
vivants : Charles, Louis et Pépin, fils d’Hildegarde. Quant à cet autre
Pépin, le pauvre bossu, il se morfondait dans le monastère de Prüm, en
Rhénanie, où l’avait conduit son goût des complots.
Je n’avais aucun grief envers les trois
premiers de mes fils : ils administraient leurs domaines aussi bien que je
l’aurais fait moi-même.
Charles était mon lieutenant général
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