La cote 512
demain pour quelques jours, je vous emmène.
— Vous m’emmenez où ?
— Dans ma famille.
— Et pourquoi vous feriez ça ?
— Parce que… Parce que vous me faites pitié toute seule ici, exposée à n’importe quoi, à n’importe qui, avec votre ventre qui s’arrondit.
— J’en ai rien à faire, de votre pitié ! Laissez-moi tranquille !
Elle voulut s’échapper, il la rattrapa, s’excusa. Quand elle apprit que, dans le civil, Louise était policier, elle se rasséréna. Le plan du jeune homme était simple : demain, lorsqu’il prendrait la route de Vailly, elle l’accompagnerait. Il se faisait fort de convaincre le médecin-major. Ensuite, ils partiraient tous les deux pour Paris, Célestin confierait Éliane à sa sœur Gabrielle et continuerait vers l’Ouest, vers la Sarthe, là où l’attendait la famille de Mérange. Éliane écouta le jeune homme sans dire un mot. Elle finit par acquiescer et promit de le rejoindre le lendemain. Il se retira, elle referma la porte derrière lui. Il repoussa les volets et regagna l’abri dans lequel les autres s’étaient endormis, roulés dans leurs couvertures, autour du feu qui crépitait. Célestin remit une bûche et, tandis que le morceau de bois s’enflammait, demeura immobile, assis dans le rond de lumière, à penser à cette étrange jeune femme, Éliane, à qui la guerre avait offert comme un répit.
Le commandant Philipon, qui dirigeait la compagnie, était un obsédé des exercices. Obnubilé par la préparation physique et psychologique de ses hommes, il ne leur accordait jamais plus d’une journée de repos. Comme à son habitude, il avait décrété que le lendemain serait entièrement consacré à des manœuvres. La section de Doussac devait rejoindre les autres dans un immense pré qui ondulait entre deux bois, pour mettre au point les formations d’attaques, la progression en tirailleur, l’assaut des tranchées et les combats au corps à corps. En partageant avec ses quatre camarades, en guise de petit déjeuner, une vieille pomme fripée dans la mauvaise lumière de l’aube, Flachon laissait sortir sa rage.
— Passe encore qu’il nous envoie au casse-pipe, puisqu’on est là pour ça, mais on a quand même le droit de se reposer, nom de dieu ! C’est pas lui qui crapahute dans les barbelés et qui se fait marmiter par les Boches !
Fontaine et Flachon partirent les premiers. Célestin leur avait expliqué qu’il avait trouvé le moyen de s’absenter quelques jours pour poursuivre son enquête, Flachon avait ouvert de grands yeux étonnés.
— Dis donc, bonhomme, quand tu as quelque chose dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs !
Célestin avait ensuite répondu aux questions de Germain, lui recommandant de rester sur ses gardes et de noter tout ce qui pourrait avoir un rapport, de près ou de loin, avec la mort du lieutenant de Mérange. Le jeune homme était à la fois inquiet de voir partir Célestin, et curieux de connaître la suite de ses investigations. Il aurait bien voulu l’accompagner. Il partit à son tour à contrecœur, son barda sur le dos, tandis que la matinée glaciale avait du mal à se sortir du brouillard. Une estafette arrivait en sens inverse, porteur d’un pli pour Célestin : c’était la lettre de Doussac, le petit lieutenant avait tenu sa promesse. Quand il fut seul, Célestin marcha jusqu’à la maison, ouvrit le volet de la porte-fenêtre et entra dans le salon. Il appela Éliane sans obtenir de réponse. Il fit le tour des pièces, découvrant à mesure le confort cossu de cette bourgeoisie de province qu’il allait être amené à rencontrer de nouveau dans les jours à venir. La jeune servante avait disparu, probablement effrayée d’avoir été découverte et peu désireuse d’accompagner Célestin. Celui-ci en conçut un peu d’amertume. À l’Ouest, vers la Sarthe, là où l’attendait la famille de Mérange. Éliane écouta le jeune homme sans dire un mot. Elle finit par acquiescer et promit de le rejoindre le lendemain. Il se retira, elle referma la porte derrière lui. Il repoussa les volets et regagna l’abri dans lequel les autres s’étaient endormis, roulés dans leurs couvertures, autour du feu qui crépitait. Célestin remit une bûche et, tandis que le morceau de bois s’enflammait, demeura immobile, assis dans le rond de lumière, à penser à cette étrange jeune femme, Éliane, à qui la guerre avait offert comme un répit.
Le commandant
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