La couronne dans les ténèbres
roi et l’enquête pour trouver l’assassin ; celui de droite, le problème encore plus aigu de la succession au trône. Les grands barons avaient juré de soutenir la cause de sa petite-fille de Norvège, mais une enfant de trois ans était-elle capable de gouverner l’Écosse ? Ou allait-ce être quelqu’un d’autre ? Peut-être que s’il suivait l’un des chemins, il arriverait à l’endroit où ils se croiseraient à nouveau ? Peut-être qu’Alexandre n’avait pas été assassiné et qu’il s’agissait d’un accident. Peut-être que le motif en était la jalousie, et le meurtrier un homme excédé de voir le roi poursuivre sa femme de ses assiduités ou la séduire. Et pourtant il pouvait y avoir d’autres raisons. Un des aspirants à la succession aurait-il ourdi cet assassinat ?
Wishart avait bien pensé à Édouard d’Angleterre, mais avait écarté cette hypothèse, car ce dernier se trouvait en France et n’avait pas cherché à s’ingérer dans les affaires écossaises, si ce n’est qu’il avait envoyé son ambassadeur, Benstede, et ce clerc bien curieux de Corbett. Benstede était déjà là avant la mort d’Alexandre, et Corbett, d’après les agents de Wishart, n’avait pas été mandaté par Édouard mais par Robert Burnell, ce vieux renard de chancelier. Wishart faisait étroitement surveiller Corbett, mais tous les rapports indiquaient qu’il n’avait pas été officiellement chargé de mission par Édouard. Wishart se demanda posément ce qui se passait à la cour d’Angleterre. Des divergences de vue, peut-être ? Quoi qu’il en fût, l’évêque était fermement convaincu que les Anglais ne représentaient encore aucune menace. Il se leva et traversa la pièce qui s’obscurcissait, pour vérifier la fermeture d’un battant, avant d’aller se réchauffer les mains à un petit brasero. Quant aux Français, pensa-t-il, c’était une autre paire de manches ; leur envoyé, de Craon, se trouvait déjà en Écosse, échafaudant intrigues et complots avec cette débauchée de reine douairière. Wishart se frotta les mains, faisant craquer ses jointures et s’efforçant de maîtriser sa colère. Il n’avait jamais aimé les airs hautains et les minauderies de la reine Yolande, qui s’était enfermée au manoir de Kinghorn et tenue loin du roi. On disait Alexandre profondément amoureux d’elle, mais il y avait quelque chose qui n’allait pas dans tout cela. On racontait qu’elle était enceinte ; l’Écosse pouvait donc encore avoir un héritier, mais serait-ce un garçon, et qui le protégerait dans les années à venir ? Wishart poussa un long soupir. Et puis, bien sûr, il y avait les Bruce, ce Lord Bruce qui aurait dû se préparer à la mort au lieu de s’occuper de politique, comme s’il était un jeune courtisan ne pensant qu’à faire rapidement fortune.
Le chancelier se remémora tout ce qu’il avait appris au sujet de cette soirée fatale. Lord Bruce assistait au banquet ainsi que les envoyés anglais et français. De Craon avait l’air bouleversé. Benstede, impassible, avait pris congé assez tôt, tandis que Lord Bruce n’essayait même pas de dissimuler ses envies de meurtre chaque fois qu’il croisait le regard du roi. Ce dernier était arrivé au banquet la mine chagrine, mais, tout d’un coup, de façon subite, même pour lui, il était devenu d’une humeur fort joyeuse, buvant sec et clamant qu’il serait aux côtés de la reine avant le point du jour. Puis il s’était enfoncé dans cette épouvantable nuit pour finalement mourir sur les falaises de Kinghorn. Quelqu’un l’aurait-il guetté là-bas ? se demanda Wishart. Non, aucun des invités n’aurait pu traverser le Firth of Forth par une telle tempête et en si peu de temps. En outre, il savait par ses agents que seul le roi avait passé le Forth cette nuit-là. Au fond de lui-même, Wishart avait la conviction que le souverain avait été assassiné, mais il ignorait comment, pourquoi et par qui. Le vieil évêque s’agita nerveusement tandis que des rafales de vent se déchaînaient contre le château, et, bien qu’ils ne se fussent jamais rencontrés, il aurait été certainement d’accord avec Corbett : Satan rôdait tout près, le Mal s’installait comme du pus dans une blessure ouverte.
CHAPITRE V
Le lendemain, Corbett dormit très tard, sourd aux sonneries des cloches de l’abbaye et aux allées et venues habituelles des moines vaquant à leurs différentes
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