La couronne dans les ténèbres
occupations. Ce fut le maître des novices qui le réveilla juste avant midi pour lui annoncer qu’un message de John Benstede venait d’arriver, lui enjoignant de se présenter au château immédiatement. Après s’être habillé rapidement, Corbett refusa le cheval qu’on lui proposait gentiment, mais accepta les services d’un guide pour aller au château en passant par la ville. Ils se mirent donc en route sous un mauvais crachin et gravirent le chemin abrupt du rocher que l’on désignait habituellement, lui avaient dit les moines, sous le nom d’Arthur’s Seat. Edimbourg différait totalement de Londres : cité royale, elle avait été construite selon un certain plan. Les longues rues étroites étaient bordées de maisons en pierre et poutres apparentes ; certaines se touchaient et d’autres étaient séparées par des passages ou des allées menant à des jardinets ou des cabanes derrière chaque bâtiment. Les échoppes n’étaient que de simples pièces ouvertes sur la rue, et nombreux étaient les étals et les tavernes. Londres était, aux yeux de Corbett, une ville fort insalubre, mais Edimbourg s’avérait d’une saleté franchement repoussante, avec ses rues jonchées de détritus, de débris de nourriture, de pots de chambre brisés et même de cadavres d’animaux.
Le bruit était assourdissant lorsque les charrettes passaient lourdement dans les ornières des rues que le guide appelait des wynds {4} ; le commerce battait son plein ; les boutiquiers sortaient même de leurs échoppes pour agripper Corbett et lui proposer pâtés, tissu, poisson frais du Firth of Forth, amandes, noix et raisins secs apportés du port voisin de Leith, mais leur accent était à peine compréhensible. Corbett se félicitait d’autre part que le guide eût un solide bâton et qu’il en usât habilement pour s’ouvrir un chemin dans la foule dense. Ils dépassèrent la vieille église de St Giles et traversèrent un vaste pré que son guide appela le Lawnmarket, un grand foirail qui servait non seulement pour les marchés et les foires, mais aussi pour les exécutions publiques, comme en témoignait le gibet rudimentaire où se balançaient les corps pourrissants de quatre hors-la-loi.
Poursuivant leur chemin, ils gravirent la rampe raide conduisant au château. La plus extrême confusion régnait dans la cour : des valets couraient en tous sens en s’interpellant et en gesticulant, des chariots chargés de provisions s’efforçaient à grand-peine soit d’entrer soit de sortir, des chevaux hennissaient et se cabraient tandis que palefreniers et garçons d’écuries tentaient de les calmer et de les éloigner. Des hommes d’armes, arborant les armoiries royales, essayaient de rétablir un semblant d’ordre, mais leur tâche n’était pas facilitée par une horde de courtisans qui lançaient, eux aussi, leurs instructions à une vaste armée de serviteurs portant tous une livrée différente.
Corbett se retourna vers son guide pour demander ce qui se passait, mais s’aperçut que l’homme avait eu assez de bon sens et de discrétion pour s’esquiver aussi vite qu’il l’avait pu. Il arrêta alors un palefrenier qui s’efforçait de mener un cheval aux écuries, au fond de la cour, mais ne put se faire comprendre de l’imbécile qui le fixa d’un regard vide avant de s’éloigner en haussant les épaules et en marmonnant des insultes. Cloué sur place, le clerc anglais se demandait s’il devait rester ou partir, lorsque quelqu’un lui effleura l’épaule. Se retournant, il vit John Benstede dont le visage affable se plissait en un sourire d’excuse. Ce dernier lui dit tranquillement :
— C’est gentil à vous d’arriver si vite, Messire ! Venez ! Quittons cette cohue !
Corbett suivit l’envoyé anglais qui se fraya précautionneusement un chemin dans la foule et gravit lentement l’escalier raide qui menait au donjon.
Au bout d’un autre escalier, ils pénétrèrent dans une petite chambre austère, meublée seulement d’une paillasse, d’une table sur tréteaux et d’un brasero mal allumé ; quelques tabourets rudimentaires apportaient une note de confort. Avec un soupir, Benstede proposa à Corbett de s’asseoir, tandis que lui-même s’affalait, tête entre les mains, sur un siège près de la table.
— Que se passe-t-il ? s’enquit Corbett. Pourquoi cette convocation et ce remue-ménage ?
— Le Conseil de régence, répondit Benstede d’une voix
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