La couronne dans les ténèbres
héritiers mâles peuvent se réclamer de sang royal, descendant tous de David, comte de Huntingdon, grand-oncle d’Alexandre III et petit-fils d’un roi précédent. Ces deux familles ont toujours été à couteaux tirés, mais à présent on dirait des chiens de chasse qui, babines retroussées, crocs menaçants et pattes rigides, se tournent autour en se guettant mutuellement, prêts à en découdre au moindre mouvement de l’adversaire. L’unique force qui les sépare est l’Église, la seule organisation cohérente qui lie, comme mortier, les différentes classes et peuples de cette nation. Deux des principaux ecclésiastiques, l’évêque Wishart de Glasgow et l’évêque Fraser de St Andrews, convoquèrent à Scone les prélats, abbés, prieurs, chevaliers, barons et toute la noblesse de ce royaume, pour qu’ils renouvellent leur allégeance à la nouvelle reine d’au-delà des mers, la princesse de Norvège. Tous jurèrent, sous peine d’excommunication et de damnation éternelle, de protéger et de faire respecter la paix du royaume. Messeigneurs les évêques sont arrivés à leurs fins, mettant en place un Conseil de régence, représentant toute la communauté du royaume et composé des comtes de Buchan et de Fife, de Sir James Stewart et de John Comyn et bien sûr des deux évêques eux-mêmes. Trois de ces « régents » sont responsables pour la partie de l’Ecosse située au nord du Firth of Forth et les trois autres, en particulier Wishart, ont toute autorité au sud. Les hommes acceptent les choses telles qu’elles sont, tout en préférant les choses telles qu’elles devraient être.
« Malgré ce Conseil de régence, différents seigneurs sont en train de lever des troupes et de fortifier leurs châteaux, se préparant à la guerre si la paix échoue. Votre Majesté connaît personnellement les Bruce : tous les trois — grand-père, père et fils, tous prénommés Robert — ne manquent jamais une occasion de rappeler qu’ils sont de sang royal et ont de fortes prétentions au trône. En 1238, comme Votre Majesté le sait sans doute, le roi d’Ecosse avait, en l’absence apparente de successeurs au trône, réuni ses conseillers et désigné, en leur présence et avec leur assentiment, les Bruce comme ses héritiers présomptifs. Ces promesses s’avérèrent vaines lorsque apparut un véritable héritier, mais les Bruce avaient, pendant un certain temps, goûté au pouvoir, et d’aucuns affirment que cela ne fit qu’aiguiser leur appétit.
« Quoi qu ‘il en soit, la paix règne pour le moment dans le royaume, mais je ne manquerai pas de tenir Votre Majesté au courant des événements. Nous sommes bien vus à la cour d’Ecosse, étant amis de tous et alliés de personne. J’ai été heureux de l’arrivée de Hugh Corbett, clerc à la Chancellerie, envoyé ici par le chancelier de Votre Majesté. Sa présence à la Cour me sera d’une aide précieuse dans ma mission. Que Dieu protège Votre Majesté ! Écrit à Édimbourg. Mai 1286. »
Corbett étudia le document, puis le rendit à Benstede avec ce commentaire :
— Bonne analyse de la situation ! Pensez-vous qu’il va y avoir la guerre ?
Benstede fit signe que non.
— Pas encore. Alexandre a fait de son pays un royaume puissant ; il faudrait des mois, voire une année, avant que cette puissance ne se désagrège. Beaucoup de choses dépendent de l’arrivée de la princesse de Norvège et de celui qui réussira à obtenir sa main. C’est à ce moment-là, dit-il avec un lent mouvement de tête, que la guerre pourrait bien éclater !
Ils abordèrent ensuite d’autres sujets de conversation moins graves. Corbett évoqua sa jeunesse, ses années de guerre au pays de Galles et son travail à la Chancellerie. Benstede, fils unique d’un respectable fermier du Sussex, parla de sa vocation pour la prêtrise, de sa passion pour la médecine et de son avancement rapide obtenu au service du roi. Corbett revint sur le sujet de la médecine :
— Voulez-vous dire que vous avez étudié à la Faculté de Médecine ?
— Oui, lui répondit Benstede. A un moment donné, je pensais me consacrer à la chirurgie ou à la médecine. J’ai été étudiant, quelque temps, à Paris, Padoue et Salerne.
Benstede regarda attentivement Corbett.
— C’est la raison pour laquelle je vous ai demandé tout à l’heure si vous vous intéressiez à la mort du roi Alexandre. J’ai personnellement interrogé le
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