La couronne dans les ténèbres
médecin royal qui avait fait la toilette mortuaire du souverain à l’abbaye de Jedburgh, un certain Duncan Mac Airth. C’est lui qui m’a décrit les blessures reçues par le roi. Et il réside au château. Voulez-vous que je vous le présente ?
— Dissimule-t-il quelque chose à propos de la mort du roi ? demanda Corbett.
Benstede réfléchit.
— Non, répondit-il enfin. Alexandre s’est rompu le cou en tombant de cheval... Quoi qu’en disent les prophéties stupides et les malédictions ! Sa première épouse était morte, ses deux fils aussi. Étant donné la façon dont il buvait pour oublier tout cela et ses folles équipées nocturnes pour assouvir ses passions, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un semblable accident ne survînt.
— Donc sa mort n’a pas surpris ses sujets ?
— Que voulez-vous dire ? lança sèchement Benstede.
— Je veux dire, répondit lentement Corbett, que les Comyn et les Bruce doivent... Hum...
Le clerc s’interrompit, cherchant ses mots, avant de poursuivre.
— ... ne doivent pas être mécontents de cette occasion de faire valoir leurs droits à la Couronne.
— Faites attention à ce que vous dites, Corbett ! l’avertit Benstede. Les Comyn viennent rarement à la Cour, et bien que Lord Bruce ait été proche d’Alexandre, ce dernier n’a jamais daigné les considérer comme prétendants au trône. Pourtant, conclut-il posément, nombreux sont ceux qui observent attentivement Lord Bruce qui aspire à la Couronne comme d’autres aspirent à la vie éternelle. Mais faites attention à ce que vous dites et à ce que vous faites, Messire. Les Bruce sont violents et ne goûteraient guère vos allusions !
Corbett opinait lorsqu’un coup frappé à la porte interrompit leur conversation. Et Corbett vit entrer un personnage courtaud et trapu qui lui fit immédiatement horreur : l’homme avait un visage vide et inexpressif, des yeux verts protubérants et des cheveux bruns, raides et gras. Il faisait des signes avec ses mains et ses doigts, et Corbett regarda, fasciné, Benstede lui répondre de la même façon. L’homme dévisagea Corbett et Benstede se retourna vers ce dernier :
— Veuillez m’excuser, Messire. Puis-je vous présenter Aaron, converti à notre religion, un sourd-muet qui ne peut communiquer qu’avec le langage des signes. Il est à mon service depuis l’époque où j’étais étudiant en Italie. Il est venu nous annoncer que le banquet va commencer et que nous devons nous y rendre immédiatement.
Corbett acquiesça et, emboîtant le pas à l’envoyé et à son étrange compagnon, il sortit de la pièce et descendit dans la grand-salle.
CHAPITRE VI
A vrai dire, la première impression de Corbett fut celle d’une cohue. L’immense salle, ornée de tentures de Paris et de tapisseries coûteuses, resplendissait de la lumière agressive d’innombrables torches fixées aux murs. Sur une estrade, au bout, siégeaient à une longue table des personnages au visage dur, revêtus de riches capes bordées d’hermine et de zibeline. De sa place, Corbett vit le reflet de l’armure que portait plus d’un sous son surcot. Mais le Conseil de régence avait la ferme intention de faire régner le calme : les armes étaient interdites et les sergents royaux étaient répartis en groupes dans les coins obscurs de la salle. Sous la grande salière incrustée d’argent, les longues rangées de tables étaient occupées par la foule des serviteurs, clercs et officiers des grands seigneurs. Le tintamarre était assourdissant, le bruit ininterrompu des conversations se mêlait aux éclats de voix des discussions houleuses, mais, en fait, on semblait attendre, voire redouter quelque chose, car tous observaient discrètement les grands assis à la table d’honneur, tout en faisant mine de s’occuper de ce qui se passait autour d’eux.
Benstede traversa majestueusement la salle et se présenta fort diplomatiquement à cette assemblée des personnages les plus puissants d’Écosse. Il présenta ensuite Corbett qui sentit que la plupart de ces seigneurs étaient trop affairés pour lui prêter attention, mais remarqua cependant que l’évêque Wishart de Glasgow, petit homme ratatiné au visage aussi brun et ridé qu’une vieille noix, le dévisageait attentivement sous ses lourdes paupières. Il y avait là, également, un géant aux cheveux gris acier, aux yeux bleus perçants et à la bouche cruelle que Benstede
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