La couronne dans les ténèbres
dans une longue guerre interminable.
— Et c’est ce que veut faire Édouard ? demanda innocemment Corbett.
Benstede grimaça :
— Non ! Édouard d’Angleterre n’a pas les yeux plus gros que le ventre !
Faisant signe qu’il comprenait, Corbett s’apprêtait à poursuivre la conversation lorsqu’au bout de la table éclata un incident qui attira l’attention de tous et mit fin au brouhaha de la salle. Deux jeunes gens se faisaient face, poignard en main, prêts à l’attaque et à la parade, leur visage au teint cireux rougi par la boisson. Corbett crut d’abord que c’était une simple rixe d’ivrognes, mais soudain l’un d’eux s’élança pardessus la, table et ce fut le début d’un beau charivari qui vit plats, gobelets et pichets de vin et de bière rouler à terre. Les invités bondirent de leur siège en se poussant et se bousculant ; des poignards furent dégainés et on eut l’impression que plus d’un vieux compte allait se régler. Le clerc se frayait un chemin vers la sortie lorsqu’il se retrouva adossé à un pilier. Ce qui se passa ensuite, il ne le comprit jamais très bien... Fut-ce un coup de chance, un mouvement de la roue de la fortune, la soudaine intervention de la Grâce divine ? Toujours est-il qu’une sonnerie de trompettes éclata tout d’un coup et que Corbett tourna la tête pour voir les musiciens ; il sentit alors un couteau lui frôler la joue et percuter le pilier. Il se retourna stupéfait mais ne vit aucun suspect dans la foule grouillante. Il ramassa l’arme redoutable qui avait failli lui traverser la gorge. Il s’en portait des centaines comme celle-là et on s’en servait même pour manger. Corbett lâcha le couteau ; les trompettes résonnèrent à nouveau et les sergents royaux s’avancèrent, bâton au poing, et commencèrent à rétablir l’ordre. On redressa tables et bancs, on fit revenir à elles les personnes évanouies et on emmena, ensanglantés et échevelés, les deux jeunes gens qui avaient été à l’origine de l’échauffourée.
Le banquet se poursuivit, mais l’incident avait jeté un froid et l’ambiance était à la rancoeur. Corbett reprit sa place, faisant mine de ne pas voir de Craon qui grimaçait un sourire comme s’il avait soudain pensé à quelque chose d’amusant. Benstede revint, les vêtements en désordre et le visage maculé, et murmura qu’il avait été malmené, probablement par les Français, et qu’il avait l’intention de partir aussi vite que possible. Des invités se levaient pour prendre congé ; les deux envoyés anglais firent de même et commencèrent à passer parmi les différents groupes. Aaron, le serviteur de Benstede surgit de nulle part et son maître et lui s’éloignèrent tandis que Corbett se retournait pour observer le départ des Français : de Craon arborait toujours son rictus. Benstede avait dit à Corbett qu’il n’avait pas besoin de retourner à l’abbaye, mais pourrait coucher dans la grand-salle avec les serviteurs. Le clerc accepta cette offre avec reconnaissance. Il se sentait fatigué, légèrement ivre et effrayé ; si un assassin le poursuivait, les ruelles sombres d’Édimbourg, la nuit, ne feraient que lui fournir des occasions en or. Corbett cherchait un endroit confortable tandis que la foule commençait à se disperser lorsque Benstede revint, accompagné par un personnage maigre et voûté, aux yeux larmoyants, à la barbe clairsemée et au nez rouge d’ivrogne. Le nouveau venu se pavanait dans un surcot au revers de taffetas jaune et à la cordelette dorée rappelant celle de Benstede, bien que ce dernier portât la sienne munie d’une rangée de noeuds pour l’empêcher de glisser sur les plis de son habit.
— Messire Corbett, lança Benstede, puis-je vous présenter Duncan Mac Airth, médecin royal et grand savant en médecine.
Corbett regarda le visage aviné du vieil homme et comprit que Benstede faisait de l’ironie. Mac Airth devait, à coup sûr, être un charlatan comme nombre de ses confrères et dissimuler son ignorance sous une attitude pédante et derrière la confection d’étranges potions, l’astrologie et les horoscopes. Corbett, pourtant, s’inclina respectueusement tandis que Benstede s’en allait, sur un clin d’oeil et un petit salut, en disant à Corbett qu’il espérait le revoir sous peu.
Le clerc amena Mac Airth à la table la plus proche, fit de la place et d’un geste le pria de
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