La couronne dans les ténèbres
poursuivre sa route.
— Monsieur* ! Nous sommes deux et il y en a encore deux autres derrière vous. Nous ne vous voulons aucun mal.
Le Français se retourna et fit un signe de la main :
— Venez, monsieur* ! Nous ne vous retiendrons pas longtemps et nous ne vous ferons aucun mal ! Suivez-nous !
Corbett observa les deux hommes trapus et bien nourris et sut qu’il y en avait d’autres en entendant un léger bruit derrière lui.
— Bien ! Je viens ! lança-t-il en grimaçant.
Ils l’emmenèrent dans une ruelle puant les excréments et la pisse de chien et s’arrêtèrent devant une masure sans étage, dont l’unique fenêtre s’ouvrait sous un toit de chaume délabré et humide et dont l’enseigne — une perche à houblon cabossée — dépassait des poutres.
Il n’y avait qu’une pièce en terre battue à l’intérieur ; humide et sombre, elle ne contenait que deux tables sur tréteaux et des tabourets grossièrement taillés dans de vieux tonneaux. Il n’y avait personne, à part un groupe d’hommes attablés qui se faisaient servir de la bière par le tenancier mort de peur. Une souillon — sa femme, de toute évidence — regardait la scène d’un air apeuré, et, agrippés à ses guenilles, des enfants au visage sale, marqué par les larmes, observaient, les yeux écarquillés, ces individus qui avaient pris possession de la salle et conversaient rapidement dans une langue étrangère.
Corbett reconnut aussitôt de Craon, qui se leva à son arrivée et lui adressa un salut à demi moqueur avant de lui indiquer un siège.
— C’est très aimable à vous de venir, Messire, dit-il en un anglais irréprochable qui ne laissait paraître qu’une légère trace d’accent. Je crois savoir que vous vous êtes beaucoup employé, ces derniers temps, à poser toutes sortes de questions dans Edimbourg et à fourrer votre nez dans des affaires qui ne vous regardent pas. Mais allez ! dit-il en poussant un gobelet de bière en direction de Corbett, buvez cela ! Et dites-nous la vraie raison de votre présence ici !
— Pourquoi ne pas le demander à Benstede ? rétorqua le clerc. Vous n’avez pas le droit de me retenir ici. Ni la cour anglaise ni la cour écossaise ne verront d’un bon oeil le fait que des envoyés français retiennent des gens à leur guise.
De Craon haussa les épaules et écarta les bras en un geste démonstratif :
— Mais, monsieur* Corbett, nous ne vous retenons pas contre votre gré. Nous vous avons prié de venir et vous avez répondu à notre invitation. Vous êtes libre de partir. Cependant, continua-t-il d’une voix suave, je vous sais trop curieux pour accepter, maintenant que vous êtes ici, que les choses en restent là.
Il se redressa sur son siège, ses mains brunes et couvertes de bagues sagement croisées sur les genoux, et regarda Corbett comme s’il avait été un aîné compréhensif ou un oncle condescendant.
Corbett repoussa le verre de bière vers son interlocuteur.
— Non, c’est à vous, monsieur* de Craon, de me dire pourquoi vous êtes ici et pourquoi vous désirez me parler.
— Nous sommes là, commença doucement de Craon, pour représenter les intérêts de notre maître et pour améliorer les relations entre notre roi Philippe IV et la couronne écossaise. Nous avions fait des progrès notables avant que n’advienne cette mort si soudaine et si tragique à laquelle vous semblez porter un vif intérêt.
— En effet, je m’y intéresse de très près, en bon clerc qui a été envoyé en mission par la cour d’Angleterre, répliqua sèchement Corbett. La couronne anglaise, tout comme Philippe IV, apprécie tout renseignement que nous pouvons lui envoyer.
De Craon hocha la tête d’un air sceptique :
— Tout cela, Benstede pourrait s’en charger. Alors pourquoi êtes-vous ici ?
Il écarta d’un geste toute protestation de la part de Corbett :
— Je crois que vous n’êtes pas vraiment préoccupé par la chute mortelle d’Alexandre du haut de la falaise. Il y a d’autres raisons secrètes. Peut-être une alliance avec les Bruce ou les Comyn ? Peut-être êtes-vous porteur d’un message du roi Édouard exposant ses prétentions au trône d’Écosse ?
Corbett fixa un regard stupéfait sur de Craon. Il comprit soudain que les Français étaient convaincus qu’Edouard lui avait confié une mission diplomatique secrète et que l’intérêt qu’il affichait pour la mort d’Alexandre n’était
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