La couronne dans les ténèbres
ébouriffés de Ranulf, son serviteur, qu’il avait laissé à l’infirmerie du prieuré de Tynemouth. Corbett s’ébroua.
— Ranulf, quand es-tu arrivé ici ?
— Il y a une heure environ, répondit Ranulf, avec mon cheval et une mule de bât. Je n’ai pas oublié vos instructions de vous rejoindre à l’abbaye de Holy Rood. J’ai passé le plus clair de la journée à chercher mon chemin du château jusqu’ici.
Il toisa Corbett des pieds à la tête.
— Où êtes-vous allé ? Vous êtes couvert de boue !
— C’est une longue histoire, répondit sèchement Corbett. Je te raconterai plus tard. Pour l’instant, trouve le prieur et dis-lui que je suis de retour ; ensuite, fais-moi apporter de l’eau chaude.
Ranulf sortit en hâte. Son maître, pensa-t-il, était toujours aussi étrange, renfermé et méfiant jusqu’à en être secret ; il était également aussi pointilleux qu’avant en matière de propreté. Il se demanda ce qui avait amené le clerc dans ces régions du Nord. Il avait bien tenté de lui tirer les vers du nez tout au long de la route jusqu’à Tynemouth, mais Corbett était resté muet, ce qui avait rendu son serviteur tout morose. Ranulf devait la vie à Corbett, qui l’avait sauvé du gibet de Tyburn. Pourtant, le clerc était encore une énigme : travailleur acharné, ses seuls plaisirs étaient de jouer de la flûte, de parcourir quelque manuscrit ou de méditer sur la vie, tranquillement assis devant un gobelet de vin. Ranulf maudit son départ de Londres loin de la jeune épouse d’un marchand de tissus. Il sentit son bas-ventre se crisper et marmonna d’infâmes jurons en repensant à sa belle dame, si arrogante d’allure avec ses dentelles et ses noeuds, qui se révélait, entre ses draps, si tendre et suppliante lorsqu’elle frémissait et gigotait sous lui. Il soupira profondément, ses pensées bien loin de ce monastère austère et de ce maître énigmatique.
Corbett, en fait, était très heureux de revoir Ranulf. Il ne l’aurait jamais avoué, mais il se sentait plus en sécurité quand Ranulf était là pour protéger ses arrières. Il était complètement éberlué devant l’énergie et l’appétit de vivre de son serviteur ainsi que devant son attachement passionné pour toute donzelle qui lui décochait une oeillade. Mais Ranulf était à ses côtés à présent, et tout en se baignant et en se changeant, Corbett se demanda comment le jeune homme pouvait le protéger des mystérieux assassins qui le traquaient. L’attaque dans la forêt était une tentative d’assassinat, tout comme l’était — Corbett en était sûr à présent — l’agression au poignard de la veille.
Le clerc passa le restant de la soirée à analyser ce qu’il savait et ce qu’il avait appris, mais il s’aperçut vite qu’il avait été entraîné dans un labyrinthe marécageux et que plus il réfléchissait, moins il comprenait. Il n’évoqua pas la situation devant Ranulf, mais écouta distraitement le jeune homme lui décrire son séjour à Tynemouth, tout en se demandant ce qu’il convenait de faire ensuite. Il avait envie de rédiger son rapport à Burnell, ne fût-ce que pour énumérer les problèmes qu’il rencontrait et pour informer le chancelier de sa totale absence de progrès. Mais il se ravisa. Il n’avait jusqu’à présent parlé qu’à des acteurs de second plan de la tragédie qui avait frappé Alexandre III à Kinghorn. Benstede et de Craon ne pouvaient lui fournir que peu de renseignements. Peut-être les grands du royaume étaient-ils au courant d’autres faits et peut-être devrait-il les rencontrer. Il se dit ensuite que, puisque de Craon savait qu’il interrogeait de-ci de-là, il ne faudrait guère longtemps avant que le Conseil de régence n’intervînt et l’expulsât du pays ou mît fin à son activité. Il lui fallait donc travailler à recueillir rapidement de plus amples renseignements pour Burnell.
Après complies, le dernier office de la journée, Corbett s’approcha du prieur et lui demanda où il pourrait rencontrer Robert Bruce. Le prieur, en homme avisé, lança un regard perçant au clerc et hocha la tête en un geste d’avertissement :
— Soyez prudent, Messire. Je crois savoir à quoi vous employez votre temps. J’ai entendu de vagues rumeurs, des remarques, des commérages de cour. Nous vivons une époque troublée, et vous avez résolu de pêcher en eaux profondes et dangereuses.
Corbett haussa les
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