La couronne dans les ténèbres
aboya Lord Bruce. J’ai bien connu Burnell lorsque j’étais en Angleterre. Je ne l’aimais pas et il ne m’aimait pas. Les années n’ont rien changé à l’affaire. Ensuite, Messire ?
Corbett sourit.
— Je vois qu’il est difficile de vous tromper, Lord Bruce. La vérité, c’est que l’on m’a envoyé en Ecosse pour découvrir ce qui s’est passé, ce qui se passe actuellement et ce qui pourrait se passer.
Il regarda intensément Lord Bruce, faisant montre d’assez de fausse franchise pour couvrir ses mensonges.
— Vous devez comprendre cela ! Vous avez été longtemps au service du roi Edouard. Sa façon de penser vous est familière !
— Oui, confirma Lord Bruce, je connais bien son esprit retors. C’est un lion par son courage à la guerre, mais une panthère par sa versatilité et ses revirements, par sa façon de ne respecter ni sa parole ni ses engagements et par les beaux discours dont il aime faire étalage. Quand il est acculé, il promet tout ce qu’on veut, mais dès qu’il s’échappe, il oublie ce qu’il a promis. La traîtrise et la fausseté dont il use pour faire avancer ses intérêts, il les appelle « prudence », et la façon dont il arrive à ses fins, il la qualifie de «droite », quelque tortueuse qu’elle soit ; et tout ce qu’il dit est loi.
Lord Bruce s’arrêta, respirant fort sous le coup de la colère, et essuya la salive sur ses lèvres. Corbett se tenait coi. Lord Bruce lui jeta un regard furieux.
— Avez-vous jamais entendu ceci, Messire ?
Et sans attendre, il se lança dans la poésie, récitant une vieille prophétie écossaise sur l’Angleterre :
— Edouard d’Angleterre a trois léopards.
Écossais ! n’en perdez aucun de vue
Car si des deux en face, l’on voit le sourire,
Le troisième, derrière, vous fera périr.
Corbett eut un faible sourire. Lord Bruce était à présent d’humeur massacrante et dangereuse.
— Je suis sûr que ce refrain a un fonds de vérité, dit Corbett. Mais que puis-je ajouter ? Alexandre III d’Ecosse n’a laissé comme héritier qu’une princesse norvégienne de trois ans. En Angleterre, continua-t-il précipitamment, nous nous interrogeons toujours sur la mort du roi.
— Absurde ! rétorqua Lord Bruce. Le roi était bien connu pour les folles chevauchées qu’il entreprenait au crépuscule pour aller culbuter n’importe quelle femelle de plus de douze ans.
— En Angleterre, répliqua Corbett d’un ton acerbe, on dit qu’il était pris de boisson ce soir-là, mais vous assistiez au Conseil, et en tant que premier pair du royaume, vous devez connaître la vérité.
— Oui, j’y étais ! dit Lord Bruce. Le roi n’était pas ivre.
— Peut-être était-il bouleversé par des problèmes soulevés au Conseil ? poursuivit Corbett.
— Non ! aboya Lord Bruce. Il n’y a rien eu d’important. Je me suis même demandé pourquoi le Conseil avait été convoqué. Seul fut évoqué le cas d’un baron de Galloway emprisonné en Angleterre. Des pétitions pour sa libération furent rédigées. Dieu seul sait pourquoi nous nous sommes réunis. Quand le roi est arrivé, il paraissait maussade, mais tout à coup quelque chose est arrivé — je ne sais pas quoi exactement — qui l’a rendu aussi heureux qu’un enfant qui aurait reçu un jouet. Il était joyeux, il buvait sec et annonça bientôt son départ pour Kinghorn. Et il est parti. Pourquoi poser ces questions ? Benstede était présent, lui. Il a dû tout vous raconter.
Lord Bruce s’arrêta et pinça les lèvres.
— Remarquez, Benstede a quitté le banquet beaucoup plus tôt. Il n’était peut-être pas au courant du départ du roi.
— Les envoyés français étaient-ils là ?
— Oui ! Il y avait de Craon, tout sourires et flatterie, qui poussait le roi à aller à Kinghorn pour l’amour*. Le misérable imbécile ! Bien sûr, il s’en est défendu par la suite. Donc, Messire, notre souverain est mort. Quel prétendant au trône votre roi va-t-il soutenir ?
— Le roi Edouard, répondit lentement Corbett, respectera les voeux de la communauté écossaise.
— Dommage, murmura si doucement Lord Bruce que Corbett l’entendit à peine. J’avais toujours cru que si Alexandre mourait sans héritier, Edouard soutiendrait la candidature des Bruce !
Il cessa de parler et lança un regard acéré à Corbett avant de continuer tranquillement, presque comme s’il se parlait à
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