La couronne dans les ténèbres
allait enjoindre le soldat récalcitrant de replacer le couvercle du cercueil et de le recouvrir de terre. Il s’aperçut alors que son escorte n’était plus à ses côtés. Ranulf était assis quelques mètres plus loin et les soldats s’étaient regroupés en marmonnant et en jurant tout bas. Selkirk, lui, s’était déjà approché d’une autre tombe.
— Si vous avez fini là-bas... appela-t-il doucement. La tombe de Seton est ici.
Les gardes, une fois de plus, enlevèrent la terre, et Corbett ouvrit le couvercle de bois avec son poignard. Puis il déroula la pièce de cuir qui entourait la dépouille et entendit l’exclamation de surprise étouffée de Selkirk. Le jeune mort était petit et blond, et bien que son cadavre — enflé et verdâtre — eût reposé en terre plus longtemps que celui d’Erceldoun, il avait à peine commencé à se décomposer.
— Par la Mort-Dieu ! murmura Selkirk. Comment un corps enterré peut-il être aussi peu abîmé ?
— Je ne sais pas, répondit Corbett, mais j’ai mon idée là-dessus. Cela ne me surprend pas. Je m’attendais presque à le trouver ainsi.
Le corps de Seton fut prestement remis en terre et, malgré les protestations de Sir James, Corbett insista pour que son escorte le raccompagnât à l’abbaye de Holy Rood. Le trajet se passa sans incident. Corbett remercia brièvement Sir James, lui souhaita bonne nuit et, suivi d’un Ranulf soulagé, pénétra, le coeur satisfait, dans la fraîche obscurité des bâtiments abbatiaux.
CHAPITRE XV
Le lendemain, assis à une petite table du scriptorium, Corbett s’affairait à dresser la liste des événements, ronchonnant de fureur devant ses propres erreurs qu’il biffait d’un coup de plume rageur avant de tout recommencer. Ranulf entra et lui posa une série de questions sur un ton plaintif, mais un regard de Corbett le fit taire et ressortir. Le prieur, toujours aussi curieux, vint également aux nouvelles, mais Corbett, taciturne et renfermé, lui fit clairement comprendre qu’il ne voulait satisfaire aucune curiosité. Une fois la liste achevée et chaque point correctement rédigé, Corbett prit le vélin, sortit de la bibliothèque où régnait une odeur douce et agréable, et fit le tour du cloître, en se parlant tout bas et en consultant de temps à autre le parchemin qu’il tenait fermement en main, comme un prédicateur apprenant son sermon ou un étudiant se préparant à défendre sa thèse.
Les moines, peu habitués à un comportement aussi singulier, commentaient avec délectation l’étrange manège du clerc anglais. Corbett ne s’en souciait guère, interrompant seulement ses déambulations pour aller déjeuner de poisson poché dans du lait et des herbes, avant de reprendre sa tâche. Les images, auparavant floues dans son esprit, étaient à présent nettes et distinctes, mais il fallait des certitudes. Il lui faudrait présenter la solution avec la clarté et la concision d’un document légal, où chaque détail serait à sa place ; malheureusement subsistaient encore des lacunes qu’il devait combler et des bribes d’explication qu’il fallait étoffer.
En fin d’après-midi, il demanda et obtint du prieur abasourdi les services du frère lai qui les avait accompagnés à Earlston. Ranulf reçut l’ordre de seller les chevaux et Corbett se mit en route pour la ville, suivi de sa petite troupe. Aussitôt franchi le portail de l’abbaye, il eut la satisfaction de voir l’escorte que Sir James Selkirk avait laissée en faction près de là les rejoindre. Lorsqu’ils traversèrent la cité, Corbett ne prêta attention à rien : ni aux rues sales, ni aux clameurs tonitruantes des marchands, ni au mélange des odeurs fortes provenant des boulangeries, des auberges ou des tas d’ordures d’origine animale ou humaine qui fumaient sous le soleil d’été. Il s’efforçait en effet de se rappeler l’itinéraire qu’il avait emprunté le matin où les hommes de De Craon l’avaient arrêté. La chaleur dans les rues étroites et bondées était étouffante et les hommes de Sir James commencèrent à se plaindre bruyamment ; le frère lai, habitué aux façons étranges de Corbett, se tassa, résigné, sur son cob docile pendant que Ranulf regardait de travers ce maître fantasque et bizarre.
Enfin Corbett retrouva la ruelle et y engagea sa monture, se frayant un chemin dans la foule jusqu’à la masure surmontée de son enseigne, une perche à houblon en
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