La couronne dans les ténèbres
d’Édimbourg. De temps à autre, Corbett voyait des ombres furtives traverser leur route et entendait, dans les ténèbres, des bruits qui cessaient à leur approche. Leurs pas résonnaient sur le sol dur des rues bordées de hauts murs et ils fiaient quasiment les seuls dehors, à l’exception des chats en maraude et des rats qui, avec des grignote-ments inquiétants, fouillaient les immondices qui encombraient chaque passage. Ils parvinrent à la place du Lawnmarket, et Corbett frissonna en voyant le gibet et ses fruits humains pourris qui se balançaient, silhouettes noires sur le ciel d’été éclairé par la lune. L’énorme masse de St Giles surgit devant eux. Ils s’avancèrent sur le parvis et longèrent l’église pour atteindre le sombre cimetière planté d’arbres. Ils y firent halte. Les soldats essayaient de dissimuler leur peur, et Corbett sentit que même Sir James Selkirk éprouvait une certaine frayeur à l’idée d’être là. « Les morts, pensa Corbett, ne m’inquiètent pas ; ce sont les vivants qui complotent et qui tuent. »
— Pouvez-vous nous conduire aux tombes, Sir James ?
Selkirk fit signe que oui.
— Étrange, continua Corbett, qu’Erceldoun soit enterré dans l’église même où il fut assassiné.
Sir James le reprit :
— Erceldoun et Seton sont morts au début de l’été. Ils étaient tous les deux d’origine modeste, leurs familles ne pouvaient pas payer le transport des corps ; on les a donc apportés ici. Quelle tombe désirez-vous voir en premier ?
— Celle d’Erceldoun, répondit sèchement Corbett.
A la suite de Sir James, ils franchirent une petite porte et marchèrent dans l’herbe haute et douce. Le silence était oppressant ; ils avançaient péniblement entre des tertres dont certains étaient surmontés de croix de bois en piteux état, d’autres n’étaient plus que des monticules de glaise abandonnés. Si les riches pouvaient s’offrir des monuments funéraires en pierre, délicatement sculptés, les tombes des pauvres n’étaient même pas correctement creusées : les fosses peu profondes dissimulaient à peine les cadavres et ne les protégeaient guère contre les chiens errants et autres animaux. Corbett et ses compagnons rencontraient souvent des tas d’ossements blancs, semblables à des poteries brisées, ou trébuchaient en jurant sur des os épars de jambe ou de bras surgissant de leur mince gangue de terre.
Le hululement d’une chouette les fit sursauter, un soldat maudit le rapace qui le frôla pour fondre dans l’herbe et se saisir d’un petit rongeur qui se débattit dans son agonie.
— Dépêchons ! lança Selkirk avec impatience.
Ils allèrent un peu plus loin. Selkirk regarda autour de lui et désigna de l’herbe fraîchement coupée entourant un monticule de terre récemment déblayée.
— Voici la tombe d’Erceldoun, dit-il.
Allumant une torche avec du silex et de l’amadou, il donna l’ordre aux soldats de creuser. Leur tâche était facilitée par la faible profondeur de la fosse, et ils eurent tôt fait de débarrasser de sa couche de terre le couvercle du cercueil encore blanc.
— Ouvrez-le ! ordonna Corbett à un soldat, mais celui-ci refusa d’un signe de tête avant de jeter sa pelle et de s’éloigner.
Corbett dégaina son long poignard gallois, s’agenouilla près du cercueil et entreprit de l’ouvrir en faisant levier. Le couvercle craqua et grinça, mais finit par céder. Corbett eut un haut-le-coeur en sentant l’odeur douce-amère de pourriture et se couvrit le nez et la bouche de sa cape pour ne pas suffoquer. La lumière hésitante de la torche éclaira le corps qui gisait là, visage tourné vers le ciel, tête légèrement de travers et yeux entrouverts. La décomposition avait déjà fait son oeuvre près du nez et de la bouche ; la peau était froide et humide, comme le constata Corbett en tournant doucement la tête du cadavre pour observer la trace fatidique autour du cou, une large plaie pourpre et noirâtre avec de petites marques rondes qui en faisaient une abominable parodie de collier.
Il regarda les restes effrayants du jeune homme qui, à leur dernière rencontre, était un soldat vigoureux déterminé à laver son nom de tout opprobre. Il était mort à présent, brutalement assassiné, et Corbett savait que son seul crime était d’avoir été vu en train de lui parler. Le clerc s’essuya les mains dans l’herbe mouillée près de la tombe et
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