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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Monseigneur Charles poussa le sien en avant sans donner un coup d’éperon, sans dire le moindre mot, sans fournir à tous ces hommes indécis, respectueux de son silence, l’image d’un homme accablé de chagrin. Tous avaient deviné sa joie, son soulagement et sa fierté.
    Regardez-le, messire, murmura Paindorge. On dirait un cheval qu’on vient de débiller (368) .
    C’était vrai. Monseigneur Charles, devenu subitement Charles V, se sentait tout à coup franc du collier.
    La royauté l’investissait avant même qu’il eût fait par Reims le détour nécessaire à son sacre. Il avait été un homme terne ? Il resplendissait. Il avait carteyé sur les sentiers du pouvoir ? Il voyait devant lui des chemins sans ornières. Une moue qui était un sourire rentré figeait sa grosse bouche gercée de froid. Il sen tait les racines de sa suzeraineté toute neuve s’enfoncer, par-delà les sabots de son cheval houssé de bleu, à travers ce sol maculé de blanc dont les lointains uniformes semblaient couverts d’hermine. A travers les épaisseurs de velours et de laine de son chaperon, il entendait un invisible Chapitre psalmodier les litanies majestueuses, et se voyait assis sur la chaise curule devant un parterre de sujets dont la vénération, déjà, lui était acquise. Hissé de bas en haut du pouvoir dans l’indifférence et régnant bon gré mal gré, il allait désormais, lui, l’esseulé, dominer une multitude. Au moins ne fuirait-il pas ses responsabilités !
    Il porta sa main saine sur son front et sa nuque comme pour y assujettir une invisible couronne. Depuis le temps qu’il l’attendait ! Depuis le temps que, lieutenant du roi, il n’était que l’adjuvant d’une royauté dont on se riait à Londres comme dans toutes les cités de l’Empire !
    Quand il se tourna vers Boucicaut, ses yeux larmoyaient : il s’était exposé trop longtemps au vent froid du nord.
    – Pauvre père, dit-il. Dieu reçoive son âme en son bleu Paradis.
    C’était un peu trop court comme oraison funèbre. D’où la nécessité d’une péroraison :
    – J’espère que mon cousin nous enverra vélocement son corps. Il nous le doit… J’espère également qu’il nous restituera sa vaisselle d’argent, ses vêtements, ses parures… Nous lui avions dit de les laisser à Paris et de ne profiter que des bienfaits d’Édouard… Mais il aimait la frisqueté, l’éclat de l’or et des gemmes…
    Et tourné vers Paindorge occupé à battre la semelle auprès d’un Tachebrun qui reprenait son souffle :
    – Savez-vous, écuyer, quand les Anglais nous renverront le corps du défunt roi ?
    – L’homme qui vous portait la funeste nouvelle a pris peur quand des sergents ont cherché à le retenir. Je l’ai voulu rassurer ainsi que ses quatre compères…
    L’écuyer farfouilla dans son manteau : Il m’a remis ce bref, monseigneur.
    –  Sire, mon ami. Sire à compter de ce jour !
    – Soit, sire… Il était porteur de ce bref… Je n’ai pas voulu vous le remettre tout de suite, vous laissant à votre chagrin…
    Paindorge tendit une lettre au nouveau roi qui s’était approché sans hâte. Il en fit sauter le sceau, déplia le parchemin et en commenta la teneur en l’offrant à Boucicaut :
    – Les comtes de Dammartin et de Tancarville ont assisté à ses derniers moments. Ils nous rapporteront toute la vérité, car je suppose que le trépas de mon père met fin à leur otagerie.
    – Le chevaucheur a dit, reprit Paindorge, qu’on a embaumé le corps. Le roi Édouard et toute sa chevalerie lui ont rendu les plus grands honneurs. Vous recelez le chercus (369) sire, dans une semaine.
    Monseigneur, pâle comme un cierge, s’avisa de toute sa suite, sergents à cheval compris :
    – Cela nous laisse du temps.
    – Oui, sire, dit Boucicaut, en enfouissant le parchemin replié dans quelque poche de son manteau.
    –  Chevaucher vers Reims en cette saison !
    Le virtuel souverain du royaume de France eut un vaste soupir. La satisfaction s’y mêlait inégalement au déplaisir :
    – Mon épouse souffre d’engelures… J’imagine son visage quand je l’informerai de tout ce qui l’attend !
    Tristan toussota. Boucicaut regarda vers l’avant :
    – Tiens, voilà Guesclin, dit-il sans dissimuler sa contrariété.
    Le Breton chevauchait, fervêtu, devant une cinquantaine d’hommes d’armes à cheval. Pour lui la guerre était un état permanent. Une journée sans mort, une journée

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