La couronne et la tiare
s’était tourné lorsque Charles de Navarre s’était enquis du guerrier le plus capable de recommen cer avec succès la guerre contre la France. D’après les rumeurs qui circulaient à Vincennes, non seulement le captal avait trouvé en Normandie des partisans du Mauvais plus acharnés contre les Français que partout ailleurs, mais encore, l’évêque d’Avranches avait envoyé des messagers en Bretagne afin d’y recruter tous les hommes d’armes susceptibles de grossir les rangs navarrais (375) .
– Voilà, dit Tristan, qui empunaise la guerre.
– Ne craignez-vous rien pour ceux de Gratot, s’inquiéta Paindorge, un soir au souper.
– Non. Ogier d’Argouges est respecté des Navar rais. Il connaît le Mauvais. Il l’a rencontré chez Godefroy d’Harcourt. Les lieutenants du roi de Pampelune le laisseront en paix.
– Je ne m’y fierais pas, dit Matthieu. Ces Navarrais ne sont que d’infâmes routiers. Et si je puis vous inte rrompre davantage, eh bien, je viens d’apprendre, alors que j’étrillais Alcazar à l’écurie, que le Bascon de Mareuil doit commander plusieurs compagnies. Je l ’ai vu insulter Bertrand à Melun. Ces deux hommes se haïssent. Si Guesclin le tient, il périra dans des tourments que je n’ose imaginer (376) .
– Melun, Meulan… Partout où le sang coule, notre Breton se trouve à son aise.
– Je connais certains de ces Navarrais, dit Tiercelet. J’aimerais pas les avoir en face dans une bataille, le grand ami de Mareuil est un Espagnol : Sanche Lopez. Mais il doit bien y avoir aussi, prêts à fournir les coups de lame, Baudouin de Banloz, Jean Gansel, Aigremont, Lopez de Saint-Julien, les capitaines l’Anet, de Livarot, du Bois-du-Maine et de Saint-Sever.
Tristan leva très haut son gobelet de vin :
– Je leur porte la santé !… On les reconnaîtra car on dit qu’ils sont tous grands. D’ailleurs, la croix rouge de saint Georges est brodée sur leur cotte d’armes et sur leurs bannières… Il y a aussi Jouel, Robert Chesne dont le passe-temps était de faire couper les mains de gens d’Alençon qu’il trouvait sur son chemin. Il y aussi Robert Sercot, un Goddon qui règne sur la Perche… Mais celui qui les domine tous en férocité c’est Jacques Plantin. Il passe son temps à galoper sur les marchés du Perche, du Maine, de l’Anjou : coupe des mains, des pieds, des… bourses est pour lui un plaisir suprême… Je suis sûr, mes compères, que le captal de Buch est désolé de se trouver en pareille accointance !
– Qu’allons-nous faire ? demanda Matthieu dont l’appétit semblait soudain coupé.
– Nous l’allons savoir, dit Tiercelet.
Yvain de Sacquenville venait d’apparaître.
– Castelreng, dit-il de loin, mais sans cesse d’avancer, il vous faut vous préparer.
Tristan se leva. « Quelles sont ces mauvaises nouvelles ? » Une bataille en vue ? Peut-être était-ce pire.
– Le roi vous mande auprès de lui.
– Il m’avait rejeté.
– Disons qu’il se livre à une récupération qui vous honore… par nécessité grandissime… Hâtons-nous. Vous – Tiercelet, Paindorge et Matthieu – apprêtez-vous aussi. Il nous faut aller au Louvre sans délai. Prenez vos armes, votre sommier… tout !
Il n’y avait qu’à obéir. Tiercelet se permit d’exprimer sa pensée :
– Je flaire un grand dessein… tortueux et mortel.
Sacquenville n’en disconvint pas.
*
Le nouveau roi parut avoir trouvé ce qu’il avait longtemps cherché :
– Castelreng ! Votre présence m’est précieuse !
– Sire, vous m’en voyez heureux.
Le sire n’était point de trop : Charles, l’ex-dauphin, prenait désormais des poses royales, même si sa houppelande en peau de bièvre lui donnait plutôt l’aspect d’un bourgeois.
– Je m’apprête à partir pour Reims…
Sobre, le menton pour une fois volontaire, l’œil soudain familier des cimes éternelles, il dominait son leude du haut de sa chaire préférée, qu’il avait fait surélever en la plaçant au milieu d’un socle couvert d’un velours bleu tendre.
– Pour Reims !… Il paraît que le captal de Buch veut faire en sorte d’empêcher mon couronnement !
« Comment ce Gascon pourrait-il s’opposer à ce long cheminement ? songea Tristan. On le dit en Normandie, loin de Paris et de Reims. »
Le nouveau roi reprit de l’altitude pour redescendre inopinément des contrées azurées où il avait gonflé son souffle,
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