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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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mourir.
    Il n’était pas certain que Dieu se fut exprimé ainsi, mais sur un signe du Breton, des cavaliers et des piétons s’en allèrent vers les cordeliers groupés sous un chêne.
    – J’y vais, dit Matthieu en laissant Carbonelle aux bons soins de Paindorge.
    Et dès qu’il se fut éloigné :
    – Il a peur, messire, dit l’écuyer.
    –  Que crois-tu ? Que je n’ai pas la suée à la pensée de ce qui nous attend ?
    J’ai confiance en ce rioteux (401) .
    – Moi de même… Ne me regarde pas ainsi : tu sais comme moi ce que valent son cœur et son âme. J’ai confiance en lui ce jour d’hui, et je lui garderai ma sujétion demain et après-demain. Contre les Navarrais, les Goddons et Gascons, il nous faut un conduiseur de sa trempe. Ce sera une bataille horrible  : à sa convenance… Je crois que pour les grandes, il ne sera pas plus miraculeux que les maréchaux que j’ai connus. Il y a un fossé entre conduire quinze cents ou deux mille hommes et commander à dix mille. Les Anglais seuls sont capables de gagner de telles batailles parce qu’ils ont une vertu que nous tournons, nous, en dérision.
    – Laquelle ?
    – L’obéissance. Et je pourrais même ajouter : la circonspection. C’est comme s’ils avaient deux cordes à leur arc. Suivons Bertrand. S’il n’était pas dans cette bataille, comme je m’y ennuierais !
    On se remit en chemin. Matthieu arriva tout essoufflé. Il souriait. Il semblait qu’il eût entrevu Dieu au-delà des ramures des chênes. Il sauta plutôt qu’il ne monta sur Carbonelle. Paindorge haussa insensiblement les épaules et Tristan regarda les fourrageurs qui s’éloignaient en tous sens pour trouver de la nourriture aussi bien pour les chevaux que pour les hommes.
    Nous n’avons guère à manger dans nos sacs. Si les vitailles n’arrivent pas, nous serons affaiblis avant deux jours et incapables d’ostoier (402) comme à l’ordinaire.
    – Le Très-Haut suppléera nos forces, dit Matthieu.
    Plutôt que de le rasséréner, la confession et la prière l’avaient rendu confiant, et même plus : il avait désormais une âme de vainqueur.
    Un Breton que Guesclin avait envoyé en avant passa au galop en hurlant : «  Place ! Place ! » Tristan s’écarta de ses compagnons :
    – J’ai besoin de savoir ce qu’il va raconter.
    Il rejoignit le coureur alors qu’il mettait pied à terre devant Guesclin et les nobles hommes qui l’entouraient.
    – Ils sont sortis d’Évreux. J’ai fait, Bertrand, selon ton mandement : je les ai suivis mais trois d’entre eux m’ont vu et pourchassé. Ils ont des gars partout.
    – Hénaff, tu seras fouetté : jamais ils n’auraient dû soupçonner ta présence. Savent-ils où nous sommes ?
    – Je peux te jurer que non. Ils ont abandonné ma ressuite 139 au bout d’une demi-lieue, craignant peut-être de tomber sur nous.
    Guesclin était demeuré désheaumé. Sur sa cotte d’armes de lin plus gris que blanc, l’aigle noire à deux têtes, aux ailes éployées, semblait prête à s’essorer, toutes griffes dehors. A l’entour du Breton, il n’était pas un chevalier, pas un écuyer qui ne parût gêné, agacé par sa présence et sa familiarité feinte. Cependant, les cruelles leçons de Poitiers, Brignais et antérieurement Crécy les contraignaient, pour une fois, à une espèce d’obéissance dont ils devaient se plaindre sitôt hors de sa présence. Il dit, précisément, en les dévisageant avec une brièveté qui attestait de leur insignifiance auprès de lui :
    – J’ai envoyé dix coureurs. Hénaff est le premier de retour.
    – Il faudrait… commença le comte d’Auxerre.
    Bertrand, d’un geste sec, le réduisit au silence.
    – Messire, cette guerre est mienne de par la volonté du nouveau roi de France. Laissez-moi l’entreprendre à la façon que j’aime. Certains d’entre vous n’ont fait qu’en perdre. Je vous dis moi, que nous allons gagner celle-ci avec notre cœur, nos poings et notre foi en Dieu ! Vous êtes jeune, messire Auxerre. Adoncques, gardez-vous bien !
    Sa laideur resplendissait d’une sorte d’abjection dont il était fier. Tristan ne pouvait se retenir d’observer attentivement cette face camuse et basanée par les intempéries, ce front bossué, ces yeux saillants, ces lèvres épaisses où se maintenait une espèce de bouderie permanente, ces oreilles en anse de cruche. L’imagier qu’il se choisirait un jour n’aurait pas grand mal

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