La couronne et la tiare
roi s’est entiché de Guesclin, c’est qu’il pense que la guerre doit changer de figure.
– Eh bien, il est servi ! ricana Paindorge.
– Plus de grosses batailles incertaines, poursuivit Tristan, mais des embûches fructueuses… Plus de jactance de la part des maréchaux, mais du bon sens et un vrai courage où les piétons sont au même niveau que les chefs… Il m’est advenu de me rire de lui, mais peut-être un jour n’en rirai-je plus. Roi à vingt-neuf ans, c’est le bel âge. Il a eu le temps de se former à sa tâche. Il ne commettra pas les fautes de ses devanciers ni celles qu’il aurait faites à vingt ou quarante ans… s’il avait dû régner à ces âges. Et je ne pense pas que d’autres femmes que la sienne modifieront ses décisions.
Un pré se présenta, immense et plat. Des cors sonnèrent. La petite armée s’arrêta tandis qu’un commandement circulait, répété sur tous les tons de bouche en bouche :
– Rangez-vous en bataille ! Montrez-vous en bataille !
Or, rien n’avait été décidé pour la formation des batailles. Il suffit donc aux guerriers d’accomplir un quart de tour à dextre, soit à pied, soit à cheval. Alors on vit apparaître Guesclin.
Il montait un cheval noir à chanfrein orfévré sans houssement ni lormeries de clinquant. Il s’était coiffé du bassinet à bec de passereau et adoubé d’une armure si fraîchement fourbie qu’elle resplendissait comme un soleil d’hiver. Il était suivi d’un pennoncier portant sa bannière : d’argent à l’aigle éployée de sable, becquée et membrée de gueules, à la cotice de même brochant sur le tout. Sa devise était brodée en grosses lettres rouges sous le rapace noir : Dat virtus quod forma negat (398) .
Derrière, à quatre ou cinq toises, venaient les seigneurs et leurs écuyers porteurs de leurs gonfanons ou pennons, tous en harnois plain (399) et tous atteints dans leur fierté d’être tributaires d’un chef qui n’était, en fait, qu’un rustique vêtu à leur façon – mais un rustique dont le hardement terrible pouvait être un suprême gage de victoire.
L’Archiprêtre suivait, morose dans l’ovale de fer du bassinet déclos, surmonté d’andouillers passés à la dorure et suffisamment hauts pour que ses amis les vissent de loin afin de l’épargner dans la mêlée. Un varlet tenait sa bannière au cerf rampant.
Mais Tristan n’avait d’intérêt que pour Guesclin. Bien qu’il le détestât, il ne pouvait se départir d’un sentiment de respect pour la façon dont il se présentait aux hommes. Ce n’était plus la jactance des maréchaux de Poitiers et de Brignais, non. C’était une sorte de familiarité bourrue qui distinguait ce bataillard de tous ceux qui, jusqu’à ce jour, avaient conduit les guerriers aux lis à leur perte. Et les chevaliers béaient, confondus par le silence que le marmouset (400) du roi avait répandu dès son apparition. Héritiers d’une tradition guerrière dont les sources de vitalité s’étaient taries de défaite en défaite, ils assistaient à la ruine des idées les mieux établies sur la façon de concevoir la guerre, au bouleversement des coutumes les plus fermement enracinées sur les champs de bataille, à la création d’une nouvelle conception du commandement. Cette montre inatten due, exigée sans doute par le Breton, leur répugnait. Ils se sentaient distancés, repoussés au même rôle de combattants que leurs propres soudoyers. Et Bertrand allait toujours l’amble, passant très près des hommes à cheval, baissant son regard char bonneux vers la piétaille tandis que le peu que l’on pouvait voir de son visage reflétait une quiétude dont la solidité ne pouvait que merveiller les plus hardis et rassurer les plus couards.
Il gagna au galop le milieu du champ, ôta son bassinet qu’il ferma et maintint contre sa hanche et donna aussitôt de la voix :
– Mes enfants, ayez en vous souvenance d’acquérir la gloire des saints cieux. Cette gloire resplendit sur celui qui prend la mort en bataille pour son seigneur, et Dieu a pitié de lui, car on doit combattre pour défendre sa terre. Caton 138 nous l’apprend. Si quelques-uns d’entre vous se sentent en état de péché mortel, qu’ils aillent se confesser promptement aux cordeliers qui nous suivent ou aux clercs de la Croix-Saint-Lieufroy où nous ferons halte. Car, selon un écrit, Dieu a dit que, à cause d’un pécheur, cent hommes pouvaient
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