La couronne et la tiare

à tailler son visage, fût-ce dans le granit de son pays natal.
    « Allons, le disgracié est en état de grâce ! »
    –  Tiens, tu es là toi aussi !
    – Oui dit Tristan avec une placidité feinte. Le nouveau roi. comme tu dis, m’a chargé d’une mission que je complète auprès de toi.
    Nulle mauvaiseté dans ce : « Tu es là ! » mais plutôt du plaisir, tout au moins de la satisfaction. Ils avaient déjà combattu ensemble. Tristan s’approcha et, baissant la voix :
    – Si tu veux bien, Bertrand, me permettre un conseil : défie-toi de l’Archiprêtre. Je profite de son absence pour…
Tu t’en défies aussi !… Sais-tu que je te croyais plus sot ?
    Pour la première fois quelque chose les unissait : leur méfiance envers un homme dont ils savaient l’un et l’autre qu’il était capable des pires bassesses pour se hausser dans la faveur de ses maîtres, fussent-ils successivement ou simultanément ennemis.
    –  Je l’ai à l’œil, Castel… reng… Fais-en autant…
    Et à voix haute, s’adressant aux prud’hommes indécis ou mécontents :
    – Nous vaincrons… J’ai quelques hérauts, rois d’armes et poursuivants de plusieurs seigneurs parmi les miens. Ils sauront énarrer la bataille. Je les veux au plus prés de nos ennemis afin qu’ils mettent tout en mémoire : bannières et gonfanons, seigneurs, écuyers avec leur pennon, ceinture, collier, haubergeon… Je veux que tout soit dit !
    – Pour ta gloire, ironisa Jean de Châlon.
    – Ma victoire, comte d’Auxerre, sera la tienne aussi, et je pressens qu’à tes veillées, tu t’en vanteras grassement devant tes hoirs et béniras tes ancesseurs d’être fait comme tu l’es 140  !
    On rit, le comte aussi pour sauver sa prud’homie fortement endommagée.
    – Et si tu meurs, les clercs qui me sont attachés béniront ta mémoire et diront moult messes pour le salut de ton âme 141  !
    C’était forcer la dose, mais tel était l’ascendant du Breton sur ces guerriers qu’aucun d’eux ne broncha.
    – Messires, tous autant que vous êtes, je ne doute point de votre hardement (403) . Employez-le à votre bon escient !
    Le visage durci de Guesclin, ses yeux aux lueurs glauques et glacées, sa bouche vorace étirée par un sourire où ses dents n’apparaissaient pas, confirmaient à tous, s’il en était besoin, une malice et un orgueil sans pareils, une volonté soutenue d’accomplir des prodiges et d’obtenir des victoires impossibles à souhaiter différentes. Les chevaliers s’étaient quelque peu écartés. L’influence du Breton sur ces hommes pourtant aguerris s’affirmait toujours, comme lors de la montre, profonde, incontestable. Eût-il frappé du pied qu’ils eussent tressailli et se fussent crus en faute. Tristan dut s’avouer qu’il se sentait conquis sans pourtant aliéner quoi que ce fut de lui-même. Après que le Breton l’eut écœuré par sa façon de vaincre les Anglais au Pas-du-Beuil, il était malgré lui pénétré par cette force, ce tempérament, cette certitude. Non point subjugué mais converti. Ce n’était pas d’un charme qu’il se sentait atteint, mais d’un pouvoir qui régénérait l’énergie affaiblie en lui depuis quelques jours. En vérité depuis Rolleboise. Il discernait chez cet homme à la face, aux gestes et à l’outrecuidance exécrables quelque chose de plus – et non pas seulement quelque chose d’autre – que chez les maréchaux et capitaines auxquels il avait quelquefois obéi. D’ailleurs, Guesclin ne se prenait pas pour l’un d’entre eux et l’on ignorerait toujours, sans doute, de quel titre il se parait lui-même.
    – Une grosse haatie (404) se prépare, Castelreng. Mais nous vaincrons ces sacs-à-vin, ces sacs-à-merde… et surtout ce captal de malheur ! Il regrettera, crois-moi, d’avoir quitté sa merdasse Aquitaine !
    Tristan reconnut là ces faciles méchancetés et brocards dont le Breton aimait à passementer ses discours.
    – Nous allons satisfaire Charles. Il le mérite. Et puis quoi : mon cousin Olivier de Mauny et moi-même avons été payés d’avance… Tiens, te voilà ? Où étais-tu passé ?
    Arnaud de Cervole s’approchait, suivi du pennoncier qui l’avait accompagné peu avant la bataille de Brignais et qui, lui aussi, avait disparu dans la mêlée. Tristan avait oublié son nom, pas son visage de chérubin pervers.
    – Castelreng !
    Pour un coup, Arnaud de Cervole avait blêmi.
    – Hé