La couronne et la tiare
le plus beau des enfants des hommes, Alcazar est le plus beau des fils de chevaux.
Dans un silence lourd quelquefois profané par le bruissement d’une mouche, le coursier immobile semblait se recueillir avec une intensité d’attention qui défiait les commentaires. Le cou roide sous la longue crinière onduleuse, les yeux fixes, noirs, miroitants, les lèvres serrées, il guettait, eût-on dit, un signe du Destin. Cette attitude signifiait à Tristan qu’il le devrait traiter différemment des autres sans qu’il pût en prévoir la façon. Cette sérénité le souciait. Elle ne sentait pas l’affectation. Il avait vu des étalons et des haquenées admirables prendre des poses. Alcazar, dans sa sublimité, restait lui-même. Il éprouvait. Il attendait. Comme issue de sa solennelle blancheur, cette attente affermissait, chez Tristan, la conviction qu’entre eux existerait une entente, une connivence sinon une amitié mais que c’était à lui de l’obtenir en grâce. La gravité mystérieuse qui enveloppait Alcazar s’accordait au regard mélancolique qu’il venait de lancer vers le fond de l’écurie, comme s’il regrettait de devoir y retourner, et le frémissement qui, tout à coup, effleurait son corps magnifique – tel un vent égaré sur de la neige à peine dure – suggérait un besoin de galops hennissants dans de grands espaces feutrés d’herbe et de mousse. A dire vrai, ce n’était point un animal. C’était une belle œuvre de chair au service d’une âme conquérante.
– Une peau de perle, se merveilla Tristan cependant que sa dextre glissait sur le garrot frais et soyeux.
– Comprends-tu maintenant pourquoi je voulais une étrille et point les autres ? Ses lames et ses dents me paraissaient plus fines.
– Plutôt que de buquer Paindorge, tu devais lui en donner la raison. Il aurait accepté que tu te serves.
Cet homme méritait-il un tel cheval ? Celui de Meaux était de la même espèce, mais noir. Cet Alcazar devait susciter des envies.
– Il vaut mieux que je te le dise. Je ne l’ai point acheté, mais pris à un capitaine d’Enrique de Trastamare. Je l’ai vu, j’en fus fou tout comme d’une belle dame… Nous avons décidé de courir trois lances. A la seconde, Alcazar était mien.
Rochet ou picot de fer ?
– Picot… Quand on est mort, on est insensible à toutes les déconvenues.
Un crapuleux, ce Fouquant. Le regret de Tristan d’avoir à le peiner s’effaça devant cette certitude.
– Le prince des chevaux, dit-il tandis que sa main glissait sur l’épaule d’Alcazar.
– Une espèce de dieu pour cortège sacré.
Tristan se pencha pour examiner les jambes parfaites, les cuisses robustes, les jarrets déliés. Sans même qu’il eût vu Alcazar galoper, il devinait qu’il déployait dans la course une énergie et une harmonie sans égales. Un rythme de foulées amples, aériennes ; des cadences variées, acceptées de bon cœur à l’inverse de certains autres coursiers. Malaquin lui-même se regimbait parfois lorsqu’il devait passer de la marche à la course pour revenir au trot et à la galopade.
– Tu permets ?
– Je n’ai rien à te permettre, Castelreng… puisqu’il est à toi.
Un homme demi-nu sur un cheval de rêve. Sans rênes. Alcazar eût pu se lâcher ; il accepta cette présence nouvelle. Souple, adroit, gracieux, il trotta dans la cour, hochant parfois sa tête blanche pour le plaisir, semblait-il, d’éparpiller sa crinière. Nourri de chevauchées, il trouvait agréable de porter sur son dos un chevalier sans armure cependant que Tristan imaginait le jeu des tendons et des muscles sous la robe unie ou bleuissaient quelques veines. Il voyait les os saillir ou se dérober sans qu’aucun ne fut passif. Et sa gorge serrée d’émoi lui faisait mal. « Il est tien… C’est un prodige qu’il soit à toi ! » Il sourit :
– Un divin instrument de voyage… et de joutes… Fluide comme l’eau, solide comme le granit.
– Promets-moi…
– Quoi, Fouquant ?
– Ne le prends pas à la bataille.
Alcazar s’arrêta. Un nouveau frémissement parcourut ses flancs tandis qu’il regardait son ancien compagnon avec une tristesse imprégnée de remords. Une main sur son cœur, involontairement, Archiac était inquiet et Tristan lui sut bon gré de sa franchise.
– Tu peux avoir confiance en moi. Il est au service des nobles causes et, tout comme moi, tu sais que la guerre est la plus belle merdaille
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