La couronne et la tiare
que les hommes ont inventée.
Il sauta sur le sol.
– Il est docile.
– Impétueux.
Le cheval les observait ; des diaprures animaient ses yeux aux longs cils gris et courbes. Il écoutait. Dans sa vaste cage thoracique, un cœur violent battait et répandait ses pulsations jusqu’à l’extrémité de la croupe.
Archiac s’approcha avec une espèce de déférence dont Tristan fut ébahi.
– J’ai connu avec lui des galops effrénés… Regarde… Pourquoi cette encolure est si belle ? Parce que tout y est vigoureux et flexible, nerf et sensibilité… Cette tête refuse le chanfrein de fer ; ce cou n’a nul besoin de camail, ce corps se refuse aux bardes…
La main d’Archiac parcourait moelleusement la robe d’Alcazar pour la dernière fois. Une belle main aux doigts longs, à l’extrémité arrondie, l’ongle propre légèrement entouré de chair, et nul doute que la robe fine, presque transparente d’Alcazar, rendait le toucher plus vif et plus exquis. Il hennit et se mit à ruer.
– Il vaut mieux le laisser, dit Tristan… D’ailleurs, vois : les aides de Goussot nous portent les tonneaux…
– Le temps qu’ils les remplissent…
– Non, Fouquant. dit Tristan. Laisse ce cheval. Tu te fais du mal. Il ne sait pas, lui, ce qui se passe entre nous.
Il souriait. Il allait dire autre chose quand il dut affronter un regard furibond.
– Holà ! Que te prend-il ?
– Rien… Quand nos armures seront réparées, nous nous séparerons.
Cela va de soi.
– Il se peut qu’un jour nous nous retrouvions et que tu aies toujours Alcazar…
Il se peut… Je le préserverai et soignerai aussi bien que tu l’as fait.
Archiac courba le cou et parut ramasser ses forces. Une certitude terrible se leva en Tristan : « Il me hait, non pas parce que je l’ai défait, mais parce que je lui prends son… son trésor ! » Archiac, en ce moment, relevait la tête.
– Eh bien, si nous nous retrouvons, je ferai comme avec Diego de Fuensaldana : je te demanderai de courir trois lances.
– Je les courrai volontiers !
– Tu m’en fais la promesse ?
– Oui.
Tristan se tourna vers Alcazar.
– Viens, dit-il. Tu es mien pour longtemps, peut-être pour toujours.
Le blanc coursier, docile, entra dans l’écurie.
*
Ce devait être la mi-nuit. Dans la rue un cheval passa bruyamment et l’éclair d’une lanterne lacéra l’opacité des ténèbres. Un chien aboya. Deux hommes coururent, l’un, sans doute, poursuivant l’autre. Alors, après qu’une solive ou un meuble eut craqué, la maison des Goussot recouvra le sommeil – pour autant, qu’elle l’eut perdu.
La lune argentait le mur de l’écurie et cette faible lumière, en s’insinuant par les contrevents mi-clos, se reflétait sur la blancheur du drap imprégné de sueur et froissé par d’incessants mouvements. Tristan éprouvait un de ces mésaises corporels qui succédaient, pour lui, au repliement de ses forces après qu’il eut olindé : lourdeur dans les épaules et les coudes, picotements dans les mains, impression que ses reins, ses hanches, ses genoux se changeaient en pierre, crampes dans les mollets, si fortes qu’il avait dû, par deux fois, se mouvoir de la fenêtre à la porte, les pieds à plat, les orteils autant que possible immobiles.
– Macarel !… Il fait aussi chaud que dans mon pays !
Il n’avait pas poussé le verrou de sa porte. Mieux : il avait entrebâillé celle-ci afin d’obtenir un léger courant d’air. Il savait ne rien risquer. Archiac se complairait à l’attaquer de front. La lance paraissait son arme préférée. Pour le désarçonner au moins dans son esprit, il suffirait qu’ils se courussent, lui, Castelreng, sur Alcazar, Archiac sur le cheval fougueux qu’il n’allait pas manquer de se procurer. La présence du coursier blanc sur la lice ne ferait qu’accroître son émoi. Un homme ainsi encharbotté compromettait ses chances. Mais qu’avait-il à se soucier de ce grand félonneux ! Il ne l’avait pas revu depuis leur bain. Toujours livré aux tourments d’une déconvenue qu’il s’efforçait de dissimuler, Archiac était allé errer dans Paris après avoir reçu de maître Goussot l’assurance de pouvoir partir le lendemain dans l’après-midi.
« Pour aller où ? se demanda Tristan. Il lui reste un sommier. Est-il assez riche pour acquérir un nouveau cheval de selle qui convienne à sa hautaineté ? »
Il éprouvait, à l’idée de ne
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