La couronne et la tiare
son bassinet que Boucicaut reçut en ses mains et, faisant visage :
– Très Saint-Père, nous sommes honoré d’être en votre auguste présence… Moult honoré, en vérité…
Parlait-il pour lui seul ou pour tous ceux qui l’avaient accompagné ? N’importe ! Jean II avait recouvré le ton solennel et puissant dont il usait à la Cour. Toutefois, quel que fût le tour si personnel et si royal de l’expression, il ne suffisait pas à justifier la fadeur d’une apologie à la portée de tout chacun. Le perdant de Poitiers ne songeait point à plaire, ni même ne souhaitait que le Pape le suivît dans une dissertation chargée d’épanalepses sur les affinités du royaume et de la papauté pour le profit spirituel et matériel qu’il en pourrait tirer. Il lui fallait dire quelques phrases en public ? Il les prononçait en attendant les propos plus austères et probablement décisifs qui s’échangeraient tète à tête.
Tristan tendit l’oreille. Les chuchotements composaient une rumeur qui rendait parfois incompréhensible l’improvisation royale.
… et le regretté Saint-Père Innocent VI, qui nous avait invité en Avignon, le savait bien… Vous êtes apparu comme… comme un…
Le roi soudain manqua de souffle et d’idée. Comment, cependant, eût-il pu passer sous silence la circonspection et la bénignité du défunt, un saint homme acquis à la royauté de France et dont il sentait peut-être l’ombre à son côté, plus affable, plus accessible à certaines prières et requêtes urgentes que ce nouveau venu qui souriait toujours avec un air de componction – si ce n’était de compassion ?
A l’évocation du feu pontife, la foule avait murmuré sourdement, moins pour célébrer à sa façon les mérites du disparu que pour se féliciter d’entendre un roi corriger une injustice : on disait que le malheureux Innocent VI avait été ensépulturé en hâte et qu’il avait été remplacé plus vélocement qu’il ne l’eût fallu.
– … votre crosse pontificale et mon spectre sont des armes plus persuasives que les aciers qui sont employés à la guerre…
La façon dont Jean II s’exprimait maintenant se révélait pesante. Certains eussent cru peut-être qu’elle ressortissait à la richesse de la pensée royale, à la profondeur de ses vues. Or, le roi n’avait aucune pensée profonde et sa vue était des plus courtes, qu’il fut sur son trône ou sur son cheval de bataille.
Urbain V écoutait attentivement, mais sans flamme et, pour tout dire : sans émoi. Dorénavant, ses préventions et ses appréhensions justifiées, son opinion quant à l’homme qui lui parlait se trouvait définitivement établie. S’il dodinait doucement de la tête, c’était moins pour signifier qu’il comprenait chaque mot sorti de la bouche royale que pour bercer son ennui en attendant de prendre à son tour la parole. Il avait longuement vécu dans un couvent. Accoutumé à l’ombre, il n’ouvrirait pas, semblait-il, de larges fenêtres sur le ciel pour que Dieu pût l’entrevoir : il le portait au tréfonds de son être. Et sans doute rêvait-il d’un ailleurs qui pouvait être Rome où là, vraiment, loin du royaume de France et des improbités de ses monarques, il se sentirait à sa place.
Tristan vit la plupart des chevaliers et des écuyers mettre pied à terre et s’agenouiller près de leur cheval.
Le nouveau Pape bénit Jean le Bon et, au-delà, tous ses hommes de guerre.
– Sire, dit-il, et vous tous, c’est un beau jour, en vérité, que ce dimanche.
Au contraire du roi, il parlait lentement. Il dit son plaisir et non sa joie d’accueillir un souverain dont il connaissait la vaillance et dont les revers l’avaient touché bien avant qu’il coiffât la tiare. L’amour du simple et du vrai, l’aversion pour l’emphatique et le dérisoire caractérisaient cet homme qui s’excusait de n’avoir point montré, pour cette réception, une précipitation que d’aucuns eussent trouvée naturelle.
– J’ai prié pour que l’âme de mon devancier obtienne au ciel une place digne d’elle ; j’ai prié pour le royaume de France, pour vous, sire, et pour que la paix règne enfin parmi les justes. Et puis, sire, il m’a fallu apprendre tout ce qui compose l’existence d’un clerc appelé à gouverner le monde des esprits et des cœurs afin de réconcilier tous les malheureux qui désespèrent de Dieu, notre père éternel…
Un homme de raison, songeait
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