La couronne et la tiare
saisissant qu’ici, sur cette esplanade, entre l’austérité des monuments et la frisqueté (250) des passants, tous oublieux, apparemment, de l’angoisse et de la misère des gens de leur espèce abandonnés dans les villages circonvoi-sins et qui craignaient le retour des pillages et des embrasements assortis de viols et de meurtres.
Jamais autant qu’en ce jour de vent et de froidure, Tristan ne s’était senti aussi vain et inutile, sans passé, sans avenir : Oriabel était morte.
Archiac survint, habillé, sous un manteau de peaux de renards entre-clos, d’un pourpoint et de chausses de velours noir, les jambes prises jusqu ’au-dessus du genou dans des heuses de daim dépourvues d’éperons. Une ceinture d’anneaux d’or à laquelle pendait, dans un étui de cuir, une dague à rouelle, serrait exagérément sa taille. Ses cheveux disparaissaient sous un chaperon d’écarlate paonnage (251) dont il était évidemment fier comme l’oiseau qui arborait ces couleurs sur ses longues plumes.
– Ah ! Compère… Vous en serez aussi… Comment va Alcazar ?
– Aussi bien que possible.
Pour signifier à l’importun qu’il souhaitait être seul, Tristan continua d’observer les Avignonnais, leurs dames, leurs filles et leurs fils. L’ostentation des costumes semblait croître. Les gentilfames couvertes de fards, chargées de joyaux, souriaient à n’importe qui.
– Des putes, dit Archiac. Décolletées effrontément. Aimerais-tu, Castelreng, que ton épouse soit ainsi ?
Les surcots et sorquanies exagéraient si outrément leur gorge, dans la brèche de leur paletoc de fourrure, qu’elles devaient avoir, sous leurs seins, d’invisibles coussinets. Elles soulignaient encore cette avancée par de larges ceintures orfévrées. Les jouvenceaux étaient tout aussi parés qu’elles : ils voulaient éblouir plus encore que les damoiselles en quête d’une séduction.
– Je n’ai point d’épouse, Archiac… Tous ces gens-là aiment la splendeur et, ma foi, je commence à comprendre pourquoi les routiers vouent à cette cité une espèce d’amour dans lequel le Pape n’est pour rien. Regardez, l’on dirait des papegais et des faisans…
– Et les femmes des grues !… Je me suis laissé dire qu’ils aimaient les oiseaux, non pas apprêtés dans leur écuelle, mais chez eux, à condition qu’ils soient en cage. Ma logeuse a des linottes, des chardonnerets, un faucon qui, à force de ne pouvoir voler grandement et chasser, souffre d’épilance (252) . Et nous n’avons rien vu : des liesses sont en préparation pour que le roi Jean et le Pape puissent dignement recevoir le roi de Chypre et le roi de Danemark… On va dépenser sans compter ! Toutes les boutiques montreront leurs trésors, toutes les façades disparaîtront sous les draps de soie et les tapisseries. La fête que je vais donner en l’honneur de Pommiers sera un beau commencement à celles qui, par la suite, divertiront le roi, le Pape et tous leurs invités.
– Quel préjudice peut décider d’un tel combat ?
– Pommiers m’a occis un ami à Comborn.
– A la guerre, c’est chose naturelle. Si ce n’est que cela…
– La femme que j’aimais a semblé s’en éprendre.
– Cordieu !… Semblé seulement… Et Maingot Maubert ?
– Une querelle de taverne.
Tristan sourit. Archiac ne lui révélerait jamais les raisons exactes de sa haine envers ces deux hommes.
– Vous êtes un hutin, messire. De même que nous ne pourrions vivre sans air, vous ne pouvez vivre sans riote. Un jour, à ce jeu-là, vous serez perdant. Mort peut-être.
– Mais l’honneur sauf !
– Belle affaire que de sauvegarder son honneur si l’on ne peut qu’en jouir au-delà des vivants !
Et soudain sans sourire et le défi aux yeux, Tristan acheva :
– Je sais que vous voulez me reprendre Alcazar. Je serai votre homme dès que nous aurons quitté Avignon… si toutefois Pommiers vous laisse en vie. Je vous ai épargné une fois. Je ne récidiverai pas.
Archiac n’abandonna point son air de goguelu invincible.
– Un jour, j’ai failli tuer Lancastre qui était le meilleur Goddon qu’on pût trouver une épée à la main.
– Failli… N’en devenez pas un. Quant à Lancastre, il n’est pas mort d’un coup de lame mais de la peste, il y a deux ans… Mais trêve de paroles vaines : la place s’est peuplée tout d’un coup. Les chevaliers sont là… Ils piètent et le roi est parmi
Weitere Kostenlose Bücher