La danse du loup
allaient décimer nos rangs à Crécy, un an plus tard. Une fois à terre, nos chevaliers et nos écuyers seraient incapables de se relever sous le poids de leur armure. La piétaille les achèverait lâchement d’un coup de miséricorde fiché au défaut de la cuirasse.
Tout ça pour dire que la trêve risquait d’être rompue. Nos espions annonçaient même l’imminence d’un débarquement anglais quelque part sur la côte d’Aquitaine.
Nous avions dû renforcer les défenses de la forteresse et nous préparer à soutenir un siège qui pouvait s’avérer long et pénible.
Lorsqu’au début du mois de janvier, j’étais parti précipitamment à l’aurore à travers la campagne, après cette nuit agitée et mémorable, au fil d’une chevauchée aussi spontanée que juvénile, j’avais interrogé plusieurs chevaliers. Ceux qui habitaient des maisons fortes sur la rive située à la dextre de la rivière Dourdonne entre les villages de la Roque-Gageac, de Carsac et d’Aillac. Mon expédition s’était traduite par un échec complet.
J’avais beau avoir fait de sa personne une description aussi précise que possible, nenni ; personne n’avait reconnu l’amour de mon cœur. Les rustres, ils ne savaient pas ce que l’amour pouvait commander à un cœur enflammé. Je m’étais bien gardé d’évoquer les circonstances dans lesquelles j’avais fait sa connaissance.
La plupart de mes interlocuteurs m’avaient, au mieux, poliment éconduit. Au pire, ils m’avaient claqué la porte au nez. Ceux-là ne devaient pas porter le baron de Beynac dans leur cœur. Ni son premier écuyer.
Arnaud, de son côté, avait tenté plusieurs fois de me dissuader de poursuivre une chimère, mais j’étais fol d’amour, terriblement fol et refusais de renoncer à le lui déclarer. Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Des raisons qu’Arnaud ne pouvait pas comprendre. Comme moi, je ne pouvais comprendre sa passion pour Blanche. Il ne me l’avait jamais présentée.
Quand il clabaudait quelques sornettes pour emburlucoquer quelque garce, Arnaud ne faisait aucune différence d’âge ou de naissance : manante, artisane, servante, fille de cuisine ou dame de la plus haute noblesse, peu lui importait.
Il n’était point regardant. Ni sensible au rang. Dès qu’il tentait de séduire une drôlette, une gente damoiselle ou quelque dame d’âge plus mûr, ses yeux noisette s’allongeaient en amande et son regard se faisait charmeur.
Car il les avait grands et beaux, ses yeux. Deux noisettes sur un lit d’automne. Un petit peu plus petit que moi, plus mince mais bien taillé, les cheveux châtain clair coupés à mi-longueur et naturellement ondulés, Arnaud avait les traits fins et gracieux. Les femmes n’y étaient pas insensibles. Elles se pâmaient toutes. Enfin, il le prétendait avec grande assurance. Il pouvait se révéler devenir un dangereux rival.
Dieu, qu’il était beau, qu’il était séduisant. Un peu efféminé, peut-être. Je ne lui connaissais de penchants que pour les femelles. J’étais bien placé pour en parler : il ne m’avait jamais luit de proposition déplacée. À moins que je ne fusse pas d’un genre à lui convenir ?
Je respirais trop souvent l’odeur forte et sauvage des chausses qu’il remisait à côté de mon lit, dans le lit du dessous, poursavoir qu’il y dormait seul. Qui aurait bien pu supporter un tel parfum ? Ni homme ni damoiselle ne partageaient sa couche. Ordre formel du baron. Il était pourtant coquet, le bel Arnaud.
Désordonné, mais coquet. Très désordonné. Très coquet aussi. Moins friand d’ablutions matinales, mais le corps frictionné d’essences de musc ou de fougère entêtantes.
Son charme faisait le reste. Et, à l’en accroire, le reste était généralement couronné de succès : sa proie, en pâmoison, se livrait tout entière pour s’abandonner à ses fantasmes les plus brûlants. Enfin, je n’en savais rien, mais je le supputais fortement avec une pointe de jalousie. Dans sa vie, il n’y avait pas que Blanche. Dans la mienne, il n’y avait qu’Isabeau. C’est tout dire.
Ce jour d’hui, je pris prétexte de la tournée que nous avait confiée le baron de Beynac pour suggérer à Arnaud de chevaucher en ma compagnie. S’il voulait que je ferme les yeux sur la visite qu’il ne manquerait pas de rendre à Blanche au Mont-de-Domme, il devait obtempérer.
N’étais-je pas son supérieur dans la
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