La danse du loup
de Beynac, interrogé par mes soins, avait feint d’ignorer.
Il me fallait donc rechercher les meilleurs hérauts que connaissait le pays du Pierregord et au-delà. Car eux seuls me permettraient de connaître la famille dont elle était issue. Et la situer. Mais aujourd’hui, le moral était bon et je me sentais près du but.
Fantasme ? Chimère ? Peu m’importait. Un feu brûlait mon âme, enflammait mon corps et mon esprit. J’étais sûr, dans la naïveté de mon adolescence, qu’elle vivait quelque part et probablement beaucoup plus près de moi que je n’osais même l’imaginer.
Or donc, après avoir franchi la rivière Dourdonne à gué et escaladé péniblement au pas un chemin situé au sud qui traversait la rue principale du village, nous étions parvenus devant le château de Castelnaud.
Une belle forteresse, plus petite et moins impressionnante que celle de Beynac ; une belle forteresse néanmoins. Accroché à l’extrémité méridionale d’une arête rocheuse, le château de Castelnaud dominait les vallées de la Dourdonne et du Céou, lieu de passage naturel entre les villes de Cahors et de Pierreguys, entre Quercy et Pierregord. Il se dressait au détour d’un cingle, à trois quarts de lieue du château de Beynac sis sur l’autre rive de la rivière.
Je m’aperçus que sa situation le rendait cependant vulnérable. Surplombant un petit village, le château était dominé au nord par un éperon rocheux sur la pointe duquel il reposait. Cette faiblesse déterminait tout le système de défense.
Les remparts, à l’ouest, faisaient face au village et à la colline, au nord, pour protéger le donjon surmonté de mâchicoulis et le logis seigneurial, à l’est, à l’aplomb de la rivière Dourdonne. Le chemin de ronde et le donjon étaient reliés aux deux tiers de la hauteur d’icelui par des hourds. J’en fis la remarque à Arnaud qui bougonna quelques mots incompréhensibles.
Face à l’entrée du château, devant la barbacane, nous avions belle prestance, Arnaud et moi, nos lances à l’arrêt, avec nos cottes aux armes des Beynac passées sur le haubert qui nous enchâssait de la tête où nous portions un camail, jusqu’aux pieds que nous avions un peu gelés.
La journée était belle, mais le froid vif. Le fer ne tient pas vraiment chaud. Nous étions cependant confortablement protégés par nos gambesons rembourrés, enfilés par-dessus nos chainses sous le haubert.
La main en porte-voix pour mieux me faire ouïr, je criai :
« Holà, du guet ! Ouvrez la porte !
— Qui va là ?
— Deux écuyers du baron de Beynac, Brachet de Born et La Vigerie ! » hurlai-je.
La herse ne se leva pas pour autant. Derrière elle, un sergent de garde cria à l’adresse d’un officier, d’une voix éraillée de coquelet :
« Deux cavaliers en grand harnois se présentent à la porte.
— Quelles armes ? » interrogea une voix lointaine aux consonances rocailleuses.
J’annonçai les couleurs :
« Burelé d’or et de gueules de dix pièces.
— Quoi ?
— Bu-re-lé d’or et de gueu-les de dix p…
— C’est bon, laissez entrer », finit par dire l’autre.
Nos chevaux piaffaient. Ils sentaient l’odeur de l’avoine. La suite devait nous montrer qu’ils en seraient pour leurs frais. Le foin et l’avoine n’étaient pas destinés aux importuns. À moins que le sire de Castelnaud ne fût enclin à la gripperie. Ou peu hospitalier.
Pourtant, dans nos contrées, on soignait souvent mieux les animaux que les hommes. Quant aux femmes, je n’en parlerai pas. Arnaud s’en occupait. L’esprit de chevalerie et l’amour courtois n’étaient pas partagés par tous. Je commençai à regretter l’entrevue que je venais de solliciter. Un mauvais pressentiment m’assaillit.
Après avoir franchi la porte principale, nous fûmes conduits par un couloir étroit à la grande salle située au deuxième niveau du donjon. Un gentilhomme de taille moyenne, sec et droit comme un piquet, au cheveu rare, au regard gris et froid, sanglé dans un pourpoint bistre garni de vair et ajusté au corps, nous y attendait, les pouces glissés sous la ceinture.
Dans un coin, près d’une cheminée monumentale, une dame lisait un rouleau de parchemin à la lumière d’un chandelier à cinq branches, entourée de deux dames de compagnie. L’une d’elles filait en actionnant un rouet, l’autre glissait une aiguille dans la trame d’une tapisserie tendue sur un
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