La danse du loup
modeste hiérarchie des écuyers ? En fait, je ne l’étais pas car nous relevions directement, l’un et l’autre, des ordres du baron et de ceux des trois chevaliers de la place. J’avais seulement pris rang d’écuyer avant lui.
Il avait accepté le compromis. Peut-être un peu trop facilement. Pas tant en raison du dîner copieux et bien arrosé que nous avions envisagé. Encore moins pour m’aider dans mes recherches. Arnaud restait mon meilleur ami, et au fond, j’aimais mieux le savoir amoureux à Domme qu’à le voir faire un jour les yeux doux à ma douce mie.
Le temps était splendide depuis la fête de Saint-Mathias l’Apôtre, l’air encore froid mais sec, et le cours de la rivière Dourdonne n’était pas trop haut. Les neiges avaient fondu bien avant la fin janvier, avant la Chandeleur.
Pour traverser la rivière, j’avais repéré lors de mon inutile expédition matinale, début janvier, l’existence possible d’un passage à gué en amont du château de Castelnaud. J’en fis part à mon compain et nous nous rendîmes à cet endroit.
Jambes serrées, rênes souples et main avancée, par un léger déplacement des fesses sur la selle, nous commandâmes le trot, puis le galop sans avoir besoin d’éperonner. Un galop rassemblé et non une allure de charge. Nous devions économiser nos montures. Notre chevauchée levait une légère bise qui nous chatouillait agréablement les yeux et nous piquait le nez.
Nous croisâmes plusieurs paysans, de robustes gaillards à la hure hirsute, aux yeux écartés, au nez parfois aplati encadré par de fortes narines qui tombaient sur une épaisse lippe rouge, hersée de dents jaunes ou de quelques chicots.
Des bouviers excitaient les bœufs qui tiraient de lourds et encombrants trains d’attelage en ligne, le joug fixé sur leurs cornes. À l’arrière, le laboureur se cramponnait aux mancherons pour maintenir le soc de la charrue le long d’un sillon droit et peu profond sur une terre encore recouverte par endroits d’une fine couche de givre.
Ailleurs on défrichait des terres restées en jachère après la fin d’une période d’assolement triennal pour préparer les semences d’avoine, d’orge ou de blé de printemps. Au loin, des troupeaux communaux paissaient sur des terrains en jachères, sous la surveillance d’un vacher au regard indifférent.
Profitant de ce temps clément, certains vilains, manches de chemises retroussées jusqu’au bras ou torse nu, fendaient de grosses bûches. D’autres aiguisaient les lames de leurs cotels sur la pierre d’une meule à bras.
Les femmes qui ne vaquaient pas à des travaux culinaires ou à l’entretien de leur maisonnée, préparaient des fagots de bois mort qu’elles liaient à l’aide de fines tiges d’osier adroitement torsadées.
De certaines masures construites en pierre, en torchis ou en bois, un mince panache de fumée s’élevait de la cheminée, de cet inévitable cantou où l’on préparait les repas dans une grosse marmite suspendue à une forte crémaillère à l’intérieur même du foyer.
Les reliefs des ripailles, lorsqu’ils n’étaient pas jetés aux porcs, alimentaient régulièrement le fond de soupe ou de tourin. Ils constituaient la plupart du temps, avec quelques tranches de lard, de pain de seigle, des œufs et un fromage, l’essentiel du dîner quotidien des paysans. Accompagnés de cervoise et plus souvent d’un vin aigre, coupé d’eau, provenant des vignes alentour. Avant que le vin ne tourne au vinaigre.
Il n’en allait pas de même en période de fêtes. Et les fêtes ne manquaient point : près de cinquante jours par an, sauf lors des périodes de disette ou de famine ! Volailles, gibier d’eau, poissons de rivière, goujons, tanches, brochets, anguilles, boudins, rillettes, lapins accompagnaient la mique.
Ils ouvraient l’appétit sur des mets plus consistants : les porcs à demi sauvages, d’un noir d’ébène, aux soies longues et hérissées, aux dents proéminentes comme un boutoir de sanglier, étaient particulièrement appréciés lorsqu’ils étaient rôtis à la broche.
Dévorant dans les enclos communaux, faînes, glands et châtaignes sous la lointaine surveillance d’un porcher, leur chair était particulièrement succulente et leur nombre suffisant pour nourrir le personnel du château et les manants qui relevaient de la seigneurie. Sans compter les braconniers qui chassaient la bête à plume, le lièvre ou le
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