La danse du loup
s’éloignaient. Pas pour longtemps. Je savais que je ne tarderais pas à recevoir la visite de mon maître. Il venait de me sauver la vie mais je commençai à me demander s’il n’aurait pas mieux valu, tout compte fait, que je me fusse livré à la justice.
L’interrogatoire auquel il n’allait pas manquer de me soumettre d’un instant à l’autre risquait d’être plus dur que la question qu’on envisageait de m’infliger dans la chambre de torture de la prévôté.
Je récitai en silence les quelques vers de ce poème que je venais de composer :
Ma douce Mie, ma tendre Mie,
Je t’offre ma souffrance
Qui parle en silence
Dans le vide d’un cœur meurtri.
Accueille-la dans tes mains jointes,
Je n’ai plus beau cadeau à t’offrir.
En attendant que l’aube pointe,
Je sens mon âme qui chavire.
Pardonne au jeune compagnon
Qui rêve de toi le jour, la nuit,
Les mots qu’il pleure sans raison
Si la folie s’empare de lui.
Tu restes la reine de son cœur,
Veille sur la petite lueur
Qui vacille mais garde l’espoir
D’éclairer un jour ce gouffre noir.
Le baron de Beynac entra brusquement et fît deux pas vers moi. Le fourreau de son épée cogna le chambranle de la porte. Je crusqu’il allait m’envoyer une paire de gifles. À toute volée. Et il avait la main leste. Leste et lourde. Plus dure qu’un savon mol. Michel de Ferregaye se tenait discrètement en retrait. Sans aucun doute, il était campé là sur ordre du baron depuis un bon moment. Pour s’assurer que je ne tenterais pas quelque discrète évasion.
Je reculai instinctivement et heurtai la petite table sur laquelle reposait le flacon qui contenait la décoction du barbier. Le flacon tomba sur le plancher et se brisa. Des effluves subtils mai s incongrus de thym et de romarin se répandirent aussitôt dans la pièce.
Le baron me fixa de ses yeux bleus. Ils viraient au gris. Ses sourcils en broçailles se relevèrent en accent circonflexe. Ses narines frétillèrent. Elles se délectaient d’une senteur qui lui était peut-être familière.
Mais les effluves agréables qui se dégageaient des lattis du parquet manquaient considérablement d’à-propos. Comment leur expliquer qu’il était plus convenable de regagner l’intérieur du flacon et de refermer le bouchon ?
Sa mâchoire se crispa. Je remarquai pour la première fois une légèreprotubérance sur l’une de ses joues. Le grain contrastait avec la couleur de sa peau, devenue livide. Il se campa devant moi, la main senestre sur la hanche. Il posa l’autre sur la garde de son épée. Je remarquai que l’extrémité des quillons était trifoliée. C’est fou les nouveaux détails que l’on peut découvrir dans une situation d’émoi extrême ! Mais je notai que s’il avait la main posée à dextre sur la garde de son épée, c’est qu’il n’avait pas l’intention de desforer. Il était gaucher.
Sa puissante stature envahissait l’espace. La porte rétrécissait comme une peau de chagrin. La chambre aussi. Moi aussi.
« Brachet, suis-moi ! »
Il m’interpellait par mon nom de famille. Pas par mon prénom. Mauvais présage. Mon épée, mon ceinturon et mon braquemart étaient posés près de moi dans un angle de la pièce. Je me dirigeai vers eux pour ceindre la tenue du parfait écuyer, lorsque le baron me dit d’une voix blanche :
« Là où je te conduis, tu n’as nul besoin d’armes.
— Où me conduisez-vous messire, je vous prie ?
— Tu le verras bien assez tôt.
— Envisagez-vous de m’écrouer dans un cachot ? Ou de me précipiter du haut de la falaise ? Sans avoir entendu ma défense ? » questionnai-je au mépris du respect que je lui devais.
Contre toute attente, le ton de ma voix ne sembla pas lui déplaire. Il ne réagit pas. Il se contenta de m’ordonner de le suivre incontinent, sans prendre aucun effet personnel, sans lui poser de question. Puis il me tourna le dos et sortit.
L’épée, le braquemart et le ceinturon qui les reliait glissèrent soudainement sur le sol dans un fracas métallique. Les esprits qui les habitaient se révoltaient à l’idée de notre séparation.
Nous nous enfonçâmes dans les profondeurs du château, franchîmes un dédale de souterrains dont j’ignorais l’existence, descendîmes et montâmes plusieurs marches que l’humidité ambiante rendait glissantes. Tous les cent pas environ, de rares torchères éclairaient d’une lumière jaunâtre le
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