La danse du loup
l’effet de la pisse de chat sur son foie.
Je ne pouvais imaginer que ce pauvre homme fût assassiné. J’avais peut-être tort. N’aurais-je pas dû me préoccuper de sa sécurité et prier le baron d’y veiller, plutôt que de jouer au physicien avec son foie ?
Après avoir consigné cet élément de grande importance sur mon palimpseste, je me replongeai dans la lecture du Chevalier de la Charrette.
Le surlendemain, pure coïncidence, Michel de Ferregaye me pria de lui remettre tous les parchemins que j’avais grattés. “Sur ordre du baron”, me dit-il pour tout commentaire.
L’avant-veille de l’Ascension, j’avais la tête un peu lourde et quelques nausées. Aurais-je abusé du vin, la veille ? Michel de Ferregaye n’était pas de garde. Il en profita pour me rendre visite et me tenir au courant des principales nouvelles de la place.
Comme on le craignait, un premier convoi anglais avait bien débarqué en la ville de Bordeaux pendant les fêtes de Pâques, et nos espions confirmaient le débarquement prochain à Bayonne, plus au sud, d’une autre armée plus considérable, commandée par le duc de Lancastre, comte de Derby en personne.
La trêve était bien rompue. La nouvelle était parvenue en la ville de Bergerac où se trouvait le comte Bertrand de Lisle-Jourdain, qui venait d’être nommé lieutenant général du Limousin, de la Saintonge et du Pierregord pour le roi de France.
Les Anglais arboraient les léopards d’Angleterre et les lys de France, confirmant leur prétention à la couronne de notre beau royaume quatre fois plus peuplé que le leur, selon les informations qui étaient parvenues jusqu’à nous.
Dès que le comte de Lisle-Jourdain eut ouï ces tristes nouvelles, et avant que les Anglais ne tentent d’assiéger la ville de Bergerac qui commandait le passage vers le Pierregord pour joindre leurs forces avec leurs armées du Nord et marcher sur Paris, il avait levé le ban.
Il avait mandé en son ost les comtes de Comminge, de Valentinois, de Mirande, de Pierregord bien sûr, les vicomtes de Carmaing, de Villemur et de Castelbon, le baron de Beynac et les trois autres barons de Pierregord, les seigneurs de Taride, de la Barde, de Pincornet, de Châteauneuf, de l’Esclun, l’abbé de Saint-Silvier et tous les seigneurs qui se tenaient en l’obéissance du roi de France.
Le baron de Beynac réunissait à son tour, ce soir même dans la salle des États, les seigneurs de Biron, de Bourdeille et de Mareuil (les trois autres barons du Pierregord) et tous leurs vassaux. L’affaire serait chaude, me dit Michel, non sans s’esbouffer : ils se disputaient tous les quatre le titre de premier baron. Ce titre leur conférait des droits de préséance dont ils étaient également fiers et jaloux lorsque leur orgueil entrait en jeu, m’avait-il dit.
Le seigneur de Beynac prétendait avoir le pas sur les trois autres qui le lui contestaient. Il en résultait moult discussions qui dégénéraient souvent en querelles difficiles à apaiser !
Leurs éclats de voix parvenaient parfois jusqu’à la salle des Gardes, située sous la salle des États. C’était dire !
Le soir venu, alors que les seigneurs du Pierregord devaient tenir assemblée pour préparer les ordres de bataille, je reçus la visite aussi inattendue qu’agréable de la plus jolie lingère du château : Marguerite, une petite brune, encore assez fine, dont les yeux avaient la couleur des châtaignes claires.
Marguerite dressa un drap et me servit mon souper, un coq au vin qui fleurait bon. Michel de Ferregaye avait été retenu par ailleurs, m’apprit-elle, les yeux pétillants.
Je dégustais le coq, en rongeais les os à pleine main et dévorais Marguerite des yeux. Après un mois de réclusion, je ne m’en plaignais pas. Ni du coq au vin, qui me sortait de l’ordinaire de ces derniers jours, ni de la présence de cette modeste mais jolie lingère.
Bien au contraire ! Elle m’apportait un brin de fraîcheur dans une solitude qui me pesait. Je lui proposai de prendre place séant sur le banc, à ma dextre. Aurai-je eu, en qualité de gaucher, quelque arrière-pensée dès cet instant ? Elle ne déclina point mon invitation, mais garda ses distances.
Je lui servis un premier godet de vin, puis un deuxième, puis un troisième. Et d’autres encore. Le pichet devait bien contenir deux pintes. Nous ne cessions de nous porter des santés.
Ce vin de singe échauffait nos
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