La danse du loup
comte de Derby une trêve qui lui fut accordée jusqu’au lendemain, au point du jour.
Tous les seigneurs tinrent conseil. Il fut décidé d’abandonner la ville, intenable, et d’en sauver les habitants. À minuit, Arnaud m’aida à me mettre en selle, le bras dextre en écharpe. La blessure que j’avais reçue la veille, était sans gravité. Pour un gaucher…
Arnaud était droitier et pansé de toutes parts. Rien de grave, à part une foulure à la cheville. Et quelques blessures superficielles. Foulques de Montfort avait moult courbatures et moult contusions. Pas une navrure !
Nous franchîmes les portes de la ville de Bergerac, au nord-est, avec le comte de Pierregord pour remonter la rivière Dourdonne et nous diriger vers Pierreguys, tandis que les chevaliers de l’ost du comte de l’Isle-Jourdain devaient se diriger vers La Réole. Cette bonne ville de Bergerac, dont la position stratégique était vitale, allait retomber aux mains de nos ennemis.
Nous apprîmes plus tard par quelque chroniqueur qui avait assisté à la bataille, qu’au moment où les Anglais s’apprêtaient à lancer un nouvel assaut au lever du jour contre la palissade, ils furent tout chagrin de n’y trouver que des bourgeois désarmés et effrayés qui demandaient grâce en criant : « Merci ! Merci ! »
— Qui merci prie, merci doit avoir ! » assura Henri de Lancastre, comte de Derby, après que ces propos lui furent rapportés par les comtes de Penbrock et de Kenfort.
« Dites-leur qu’ils ouvrent la ville et nous laissent entrer dedans : nous les assurons de nous et des nôtres ! » Le comte était magnanime. Il était surtout sage et fin diplomate. À l’occasion. Lorsque l’occasion arrangeait son industrie.
Notre ville de Bergerac était tombée et ses bourgeois firent hommage au roi d’Angleterre, à cinq jours des calendes d’août, le 27 juillet, en l’an de disgrâce 1345. Les vicomtes de Bosquentin, de Châteaubon, les sires de Châteauneuf, de l’Esclun et messire Jean de Galard, grand maître des arbalétriers du roi, détaché ès qualités, avaient été capturés par les Godons. Ainsi que… le sire de Castelnaud de Beynac !
Lorsque j’appris cette nouvelle, mon sang ne fit qu’un tour ! Sur le coup, je m’en réjouis vivement dans mon for intérieur. Bien que j’eusse préféré le savoir deshachié dans d’atroces souffrances. Ce n’était pas comportement chrétien, tant pis !
Alors qu’il s’était trouvé dans une mauvaise passe, faubourg de la Madeleine, à moins de vingt pieds de moi, j’avais tenté de lui venir en aide. Il avait refusé tout de gob que je lui portasse secours en huchant à gueule bec :
« Messire Brachet, j’aurai moins grand déplaisir à me rendre à nos ennemis anglais qu’à devoir la vie sauve à un criminel ! ! !
— Qu’à Dieu ne plaise, messire, vous avez bellement raison : la rançon que vous devrez bailler ne vous ruinera pas ; votre vie ne vaut pas à mes yeux, plus de sept deniers. Les deniers que Judas s’est vu bailler par le Grand-Prêtre du temple de Salomon pour le prix de son reniement. Vous finirez bien par vous pendre comme Judas, à défaut de l’être par la justice de l’évêque ! »
De nombreux autres chevaliers, écuyers, archers, bourgeois et simples valets d’armes avaient payé leur tribut. Pour tenter de sauver la bonne ville de Bergerac. Les plus chanceux étaient blessés ou rançonnés. Les plus malheureux avaient été purement et simplement occis.
Le début d’un immense désastre. Villes et places fortes tombèrent les unes après les autres : Masduran, Lamonzie-Saint-Martin, Paunat, Lalinde, Mauzac. Le comte de Derby ne connut qu’un seul revers de fortune qu’il nous fit payer chèrement près de la ville d’Auberoche, quelques semaines plus tard.
Il s’était porté devant la cité de Pierreguys et il avait établi son camp à quelques lieues. Deux cents lances françaises montées sur la fleur des coursiers, sorties de la ville vers minuit, ruèrent sur les Godons au petit matin. Les lanciers firent grand’foison de chevaliers et se saisirent du comte de Kenfort au moment où il s’armait, puis ils réintégrèrent les murs de Pierreguys au triple galop.
La prise du comte de Kenfort permit seulement de négocier la liberté des sires de Bosquentin, de Châteaubon, de l’Esclun et de Châteauneuf qui avaient été capturés au faubourg de la
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