La danse du loup
de la fiscalité royale et de certains abus commis par quelques nobliaux locaux, trop avides, la population se tournait en bien des cas vers les Gascons. Oubliant qu’ils feraient pire et qu’ils étaient inféodés au roi d’Angleterre.
Bien des évêques aussi étaient ouvertement passés dans le camp du roi Plantagenêt, au mépris des injonctions que notre pape Clément, sixième du nom, qui avait autrefois siégé au Conseil du roi de France, leur avait adressé. Et qui tentait, avec acharnement et désespoir, de calmer les parties en présence et les menaçait parfois d’excommunication. Comme son prédécesseur, Benoît le douzième, avait tenté de le faire jusqu’à son rappel à Dieu.
Plusieurs terres de culture, qui s’étendaient dans la plaine entre le village de Beynac et le château de Marqueyssac, avaient été inondées par de fortes crues de la rivière Dourdonne, au point d’en modifier le cours à plusieurs endroits.
Les champs fertiles se transformaient en véritables noues. Il devenait impossible de les parcourir à cheval et, a fortiori, de les labourer pour les blés de printemps ou de faire paître les troupeaux sur les jachères.
Nous avions prêté main-forte aux vilains pour surveiller la construction de plusieurs digues. Le baron Fulbert Pons de Beynac, dont ils dépendaient, en avait ordonné l’établissement aux endroits les plus exposés à la montée des eaux. En bourse déliant et en harassant ses paysans et ses manants à de durs travaux d’édification, le tout puissant seigneur des lieux faisait d’une pierre deux coups.
Il paraît ainsi à quelques risques d’un nouveau soulèvement, tel celui des Pastoureaux que connut la comté de Pierregord en l’an 1320, d’une part, il veillait au produit des fermages et des redevances qui rédimeraient plus tard les coffres de la baronnie, d’autre part. Sa vue portait loin.
“Désœuvrement, disette et impuissance sont les trois mamelles de tous les vices ! Qui ne dîne point ne dort point et se révolte ! C’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi !” tranchait-il après avoir grabelé les articles de son expérience personnelle sur le comportement des hommes. Il prêchait des convertis, mais ne semblait pas s’en rendre compte, à voir nos yeux ébahis.
À sept jours des calendes de juillet, le jour de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin 1346, moi, Bertrand Brachet de Born, simple écuyer du baron de Beynac, allait devoir bailler, à mon corps défendant, les débours de bien des événements qui me dépassaient. De la tête et des épaules.
René, un sergent monté qui était au baron de Beynac, fils d’Antoine le Passeur au lieudit le Gué, à Carsac, m’accompagnait ce jour aux approches du Mont-de-Domme dont il connaissait mieux que moi les remparts, les portes et les ruelles. Les plans de construction des nouvelles bastides imposaient ces curieux tracés à angles droits.
Mon compain, mon ami Arnaud de la Vigerie, ne devait pas quitter le baron de Beynac d’une semelle. Jusqu’à none ou vêpres, s’était-il plaint avec dépit. Arnaud devait l’accompagner et porter son écu lors d’une vaste tournée que le baron de Beynac souhaitait entreprendre pour évaluer l’état des cultures. En compagnie de son chambellan préposé aux affaires de finance de la baronnie, un homme discret, un homme secret. Un homme de l’art. Le conseiller et le confident de notre maître. Presque son confesseur. Je n’en connaissais même pas le nom. Entre nous, on le surnommait Crésus.
L’heure de la dîme ou d’autres taxes censitives approchaient. Le baron souhaitait certainement se rendre compte par lui-même de l’état de ses sujets et de leur… pécuniosité. Avant d’envoyer son chambellan récolter cens et champarts.
Arnaud n’avait donc pu se joindre à nous. Pourtant, une petite visite à sa mie, Blanche, n’aurait pas été pour lui déplaire, à la chaude.
Mon intention était de profiter de l’occasion que m’avait donnée le baron de Beynac pour soumettre à la question, courtoisement mais perfidement, cette gente damoiselle, fille de l’un des consuls du Mont-de-Domme.
Je ne connaissais que son prénom. Arnaud avait toujours feint de ne pas avoir ouï dire le nom de sa famille. Je n’en croyais rien bien qu’il fut fréquent que les gens soient nommés, en nos contrées, par leurs prénoms ou par les lieux dans lesquels ils résidaient.
Peu
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