La danse du loup
compains morts ou agonisants. “Ff-ff-fffou, Fff-fff-ffffou…” Le sifflement de l’épée que Foulques de Montfort brandissait au-dessus de sa tête brassait l’air de plus en plus vite.
La première tête anglaise fut décolée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il trancha le bras du second et, dans un mouvement incroyablement ample, l’épée tourbillonna et coupa le jarret du troisième.
Son épée n’était pas faite pour l’estoc. Dommage. Un chevalier aux armes des léopards d’Angleterre et des lys de France se précipita sur lui, mézail relevé, épée pointée, les yeux exorbités, un rictus à la bouche en hurlant : “God’dam !”
Il fut coupé en deux, proprement, sans bavure, à la hauteur de la taille, comme une tranche de beef. Comme ce corbin qui avait eu la mauvaise idée de voler par là, au mauvais moment, au mauvais endroit.
Le chevalier de Montfort, qui ne portait sur son surcot que les seules armes du baron de Beynac, lui avait cloué le bec. Définitivement. L’Anglais se sépara en deux.
La partie supérieure de son tronc se planta stupidement sur le pont, droite et figée, fixant son adversaire d’un regard étonné tandis que ses jambes, séparées du torse, tentaient de rattraper le temps perdu en se précipitant vers son agresseur. Le temps d’un dernier spasme. Avant d’achever leur course dans un bruit de ferraille et de sang.
“À moi, Brachet !” hurla Beynac à oreilles étourdies. Il taillait du Godon pas très loin de là.
“Sauve Montfort ! Sauve Arnaud !”
Arnaud glissait effectivement sur une marre de sang qui engluait le sol. Et sur une gigantesque colonie d’escargots qui avaient eu la malencontreuse idée de venir humer l’odeur de la bataille.
À dater de ce jour, je jurai de ne plus jamais en manger. Même sous la torture. Sous la torture, c’était moins sûr. D’autant plus que j’adorais les escargots du Pierregord. Préparés à l’ail et cuits à la graisse d’oie. Avec du persil. Comme les cuisses de grenouilles. Nous étions rares, en pays d’oc, à goûter l’ail.
Arnaud sentit un de ses pieds se bloquer entre deux des lattes du pont. À terre, au risque de se rompre l’échine, il réussit à éviter la masse d’armes qui visait son crâne pour fermer définitivement ses beaux yeux en amande.
Il se dégagea, puis tenta péniblement de se relever. En abandonnant un soleret qui tomba en contrebas, dans la rivière Dourdonne, avec un “Plouf-f-f !” prononcé. Il était seul, terriblement isolé à nouveau. Un écuyer anglais s’apprêtait à l’achever. Il s’immobilisa sur place, l’épée en l’air, traversé par un carreau d’arbalète. Étienne ne devait pas être loin !
Resté jusqu’alors en réserve, je me précipitai dans la mêlée pour sauver mon ami de la mauvaise passe dans laquelle il était engagé.
La suance, par cette chaude journée de juillet, ruisselait le long de mes joues et me piquait les yeux. Je relevai le mézail de mon bacinet et aspirai goulûment une bouffée d’air chaud et humide, trempée de sueurs, d’intestins crevés et d’odeurs écœurantes.
Je tentai de m’essuyer les yeux d’un revers de la main. Mal m’en prit. Le nouveau gantelet de fer articulé, auquel je ne n’étais point habitué, me griffa la joue. Je l’arrachai vivement. J’y vis plus clair, sur une situation qui frisait le désespoir.
Dégainant mon épée à la lame d’estoc bien effilée, je claquai le mézail et me lançai dans la mêlée. Arnaud était en mauvaise posture, claudiquant d’un pied sur l’autre. Foulques de Montfort ne claudiquait pas. Mais il était cerné de toutes parts.
Je fonçai, l’épée en l’air. Mon premier ennemi godon, en face de moi, fit de même en se ruant sur moi. Au tout dernier moment, je levai mon écu au-dessus de ma tête pour parer une éventuelle riposte, j’abaissai la garde, l’épée à l’horizontale, fis un léger écart à senestre et je piquai d’estoc. Ma lame pénétra silencieusement mais profondément au creux de l’aisselle, au défaut des plattes. Je la retirai d’un mouvement sec.
Il en fut de même pour tous les Godons qui vinrent en découdre. Ils furent un peu surpris, tantôt un peu trop tard, par cette nouvelle façon d’escremir. Et pour cause. Les gauchers, pour peu qu’ils aient quelque habileté, jouissent d’un léger avantage sur leurs adversaires. Si ces derniers sont droitiers. Les Godons qui
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