La danse du loup
plus grande chaleur du jour. Aussi loin que portait la vue. Suivant l’ordre de bataille qu’elle avait reçu, la garnison de Montcuq abandonna aussitôt le fort pour se replier sur la ville de Bergerac.
À l’intérieur de la ville, nous eûmes grande joie à voir les Godons approcher. Pour les recevoir comme il se devait. Pour les occire sans vergogne. Nous ne savions pas ce qui nous attendait
La bataille faisait rage, près le faubourg de la Madeleine. Tous les chevaliers, tous les écuyers avaient démonté. Ils combattaient à pied, comme les valets d’arme.
« Arnaud ! Ga-a-ar-de-ez-vous, à senestre ! » hurla Foulques de Montfort. Les flèches des archers godons sifflaient tout autour de nous. Comme un nuage de frelons prêts à planter leur dard dans nos cottes de mailles dont d’aucunes étaient déjà rougies.
« Par Saint-Denis ! Repliez-vous ! » Dans le tumulte de la bataille qui se livrait sur un pont vermoulu, Foulques s’égosillait. Inutilement. Arnaud ne l’entendait pas. Il ne l’entendait plus. Il ferraillait de taille et d’estoc, en désordre, sans succès, pour tenter de se dégager de l’impasse dans laquelle il s’était fourvoyé.
Étienne Desparssac observait la scène qui se déroulait à quelques dizaines de pas de lui. Conservant son calme, il commanda aux deux arbalétriers qui se tenaient à ses côtés.
« Du calme, mes amis. Attendons d’avoir deux ou trois Godons en enfilade. Là, là ! Ceux qui montent à l’assaut devant notre écuyer ! Lorsque vous les aurez dans votre ligne de tir, inspirez, puis chassez l’air à demi de la poitrine. Votre tir n’en sera que plus précis. Mais attendez mon ordre. Par Saint Christophe, nous pouvons bien en déconfire neuf d’un coup ! »
Les cordes des arbalètes étaient tendues à rompre la noix de la gâchette. Le temps était sec. Les viretons des carreaux, plus affûtés que les lames des rasoirs de notre barbier, brillaient d’une âme mortelle au soleil couchant tant elles avaient été aiguisées pour perforer les armures les mieux trempées.
« Attendez. Attendez encore ! Du calme, les petits… Reprenez votre souffle… Maintenant ! » hurla Étienne.
Les trois arbalétriers écrasèrent la queue de détente. La noix en corne bascula, libérant sèchement et violemment la corde. Trois traits filèrent en direction d’Arnaud.
Un premier carreau, à dextre, pénétra dans la gorge d’un ennemi qu’il traversa de part en part avant de se ficher dans le chapel de fer de celui qui le suivait. Un autre carreau transperça le cœur d’un premier assaillant, l’épaule d’un second, puis s’immobilisa dans le ventre d’un troisième Godon. Leur assaut était brisé net.
Le dernier carreau, tiré à la senestre d’Arnaud, déconfit les plattes d’un premier, d’un deuxième, puis d’un troisième attaquant. Il les embrocha comme on embroche le bœuf avant de le saisir sur le gril. Ici, point besoin de gril : la vache anglaise n’était point bonne mangeaille. Étienne avait pris son temps avant de décocher !
« Pied à l’étrier ! Rebandez, vite, vite ! Par Saint-Christophe ! »
Les arbalètes étaient plus puissantes et plus pénétrantes que les flèches décochées par les arcs gallois de ceux d’en face. Mais elles étaient trois à quatre fois plus lentes à manœuvrer.
Les deux soldats s’exécutèrent. Ils mirent le pied à l’étrier, engagèrent la corde dans le crochet qu’ils portaient à la ceinture, bandèrent leurs muscles, redressèrent les reins, cliquèrent et verrouillèrent la corde dans l’encoche de la gâchette. Ils se saisirent d’un autre carreau, le posèrent sur le fût dans la rainure creusée le long de l’arbrier. Ils étaient prêts à tirer.
L’instant d’avant, leur jet avait ouvert une faille dans la défense anglaise. Le sire de Mirepoix combattait sous la bannière de messire Gautier de Mauny. Il avait pénétré en premier dans les faubourgs de Bergerac, à la tête de son échelon. Il fut descharpi incontinent.
Foulques de Montfort se rua en avant. Sa lourde épée, qu’il avait saisie à deux mains, tourbillonnait au-dessus de son bacinet dans un feulement qu’on entendait d’ici : “F-f-fou, F-f-fou, F-f-fou…” La lame devait bien mesurer près de quatre pieds. De nouveaux assaillants, après un instant d’hésitation, s’avançaient à nouveau contre Arnaud, piétinant sans vergogne le corps de leurs
Weitere Kostenlose Bücher