La danse du loup
Madeleine. Du sire de Castelnaud de Beynac, il ne fut point question.
Mais la plus cuisante de nos défaites eut lieu au mois d’octobre, à huit jours des calendes de novembre, le 24 octobre 1345, devant la ville d’Auberoche occupée par une garnison anglaise.
Dix mille chevaliers, écuyers, gens de pied et arbalétriers s’y étaient portés par-devant, placés sous le commandement du comte de Lisle-Jourdain, lieutenant général pour le roi de France. Comme dans la ville de Bergerac. Mais cette fois, avec des effectifs dix fois supérieurs.
Le château fut battu pendant six jours par quatre trébuchets qui projetaient des boulets de cent vingt et deux cents livres sur les tours de flanquement au point de les démanteler.
Les assiégés, réduits à s’abriter dans les salles voûtées, dépêchèrent un messager gascon pour appeler à leur secours le comte de Derby. Il fut pris lorsqu’il tenta de franchir les lignes françaises et l’on découvrit, cousu dans son bliaud, le message qui était destiné aux Anglais.
Après l’avoir confortablement installé sur le berceau de l’un des trébuchets, à son corps défendant, on le projeta vivant pardessus les remparts où il se fracassa. Le message qu’il destinait aux Godons, solidement lacé autour de son col, bien en évidence. Cet acte n’avait rien de chrétien. Il sapa le moral de la garnison. Le comte de Pierregord riait aux éclats et caracolait autour des remparts en insultant les Godons.
Il ne savait pas qu’un autre messager avait pu donner l’alerte au gros de l’armée anglaise. Un millier de Godons tomba peu après sur nos assiégeants désarmés, au moment où ils faisaient quiète ripaille. Ils en firent grand’foison à leur tour.
La garnison d’Auberoche saisit promptement l’occasion pour sortir du château et charger un corps de bataille français qui n’avait pas encore donné et tentait de se replier en bon ordre. Elle le massacra.
Les comtes de l’Isle-Jourdain, de Pierregord, de Valentinois, six autres comtes, un grand nombre de barons et de chevaliers, dont le baron de Beynac et plusieurs de leurs vassaux furent saisis.
En grand seigneur, Henri de Lancastre, comte de Derby, qui avait obtenu là une victoire aux conséquences considérables, offrit le soir même à ses prisonniers de marque, dont nous ne fûmes ni Arnaud ni moi, un splendide souper dans le château, avant de les relâcher sur parole.
Oui, mais sur quelles paroles ? De la parole d’aucuns, on pouvait douter comme l’avenir le prouva. Leur fidélité se révéla, pour certains de ces seigneurs et non pour les moindres, bien versatile. Pendant le chemin d’un triste retour, nous escortâmes le baron de Beynac. Il nous sembla soucieux et il ne dit mot. De tout le trajet.
Quelques jours plus tard, les habitants de Monsac près de la ville de Beaumont ne furent pas traités avec autant d’égards que nous le fûmes. Les Godons s’emparèrent du marché, emmenèrent tous les chevaux et incendièrent le bourg jusque dans ses fondements.
La bataille d’Auberoche eut un grand retentissement et de graves conséquences : les villes de Montignac, Saint-Astier, Lisle, Biron, Eymet, Montravel, le Fleix et Mareuil se rendirent aux Anglais. La cité de Beauregard fut pillée et incendiée et la bastide Saint-Louis, détruite. Le royaume de France se dégonflait comme une cornemusette. Les Godons étaient partout. Ils occupaient plus des trois quarts de l’Aquitaine, de la Saintonge et du Limousin. Ils régnaient en maîtres en Bretagne. Ils devaient régner bientôt en Normandie et plus loin, au Nord. Ils étaient presque aux portes de Paris.
Les léopards d’Angleterre dévoraient les lys de France comme un ogre dévore les enfants. Seule, une petite partie de l’Aquitaine demeurait fidèle au roi de France. La forteresse de Beynac et la ville consulaire de Sarlat, toutes proches, avaient considérablement renforcé leurs défenses.
Le baron Fulbert Pons de Beynac, sire de Commarque, n’eut jamais à s’incliner devant les Godons, ni à connaître l’humiliation de bailler rançon.
Sa forteresse ne fut jamais prise d’assaut. Pas plus que la ville consulaire de Sarlat. Jamais. Aussi longtemps que dura la guerre.
Il n’en fut pas de même du Mont-de-Domme.
Pour mon plus grand malheur, je m’y rendis, la veille de la Saint-Jean-Baptiste.
Ces Gascons sont Anglais à moitié !
Propos tenus par
Weitere Kostenlose Bücher