La danse du loup
m’importait au fond : les prénommées Blanche, filles de consul, ne devaient point courir les rues de la bastide royale. Quand bien même ! Je saurais mettre la main sur la bonne. Ne disposai-je pas de deux jours et de deux nuits avant de devoir regagner la forteresse de Beynac ?
Ordre du baron : prendre mon temps et lui rendre compte des défenses de la bastide, du moral des troupes et de la force de la garnison. Par le menu ! Avant de présenter ses marques de salut à son voisin, le châtelain de Campréal, Thibaut de Melun, vassal direct du roi de France, qu’il tenait en grande et noble estime.
Revêtus d’un haubert et d’une cotte d’armes aux couleurs du baron de Beynac, bouclier sanglé dans le dos, casque accroché au ceinturon et camail enroulé autour du cou, nous gravîmes au pas l’un des longs sentiers abrupts qui menaient par l’est à la bastide royale.
Nous parvînmes à la porte des Tours, sur le coup de sexte, à en croire la cloche de l’église Notre-Dame de l’Assomption. J’en reconnus le son grave et prolongé pour m’y être autrefois recueilli en présence du baron de Beynac. Il y avait bien longtemps.
Flanquée de deux puissantes tours percées chacune de hautes archères, cette entrée de la bastide portait bien son nom. En fait, un véritable châtelet. Deux latrines formant bretèches délimitaient cet imposant bastion. Elles inspirèrent incontinent à mon compain René, une forte envie d’oriner.
« René, lâche-toi, à la parfin ! Déchausse et orine un bon coup ! Aurais-tu la chaude-pisse ?
— Que nenni messire, j’ai envie d’oriner par un aut’trou !
— – Un autre trou ?
— Oui, messire Bertrand, par l’trou d’derrière ! L’trou du cul ! René parlait peu, mais cru.
— Ah ? Dans ce cas, serre les muscles ! Nous n’avons point encore été invités à franchir les murs ! lui répondis-je en lorgnant du côté des commodités.
— Messire, faites vite ! J’tiens plus ! J’ai la colique !
— Soulage tes boyaux hors les murs ! Chie ici ou là !
— Devant les archers ? À moins d’une portée d’arc ? Vous n’y pensez point, messire Bertrand ! Ils vont s’esbouffer à rire ! Ou décocher une sagette pour m’embufer !
— Tiens bon, René ! Nous allons ouvrir la place céans ! » le rassurai-je, bien déterminé à lui éviter d’humilier sa selle et son destrier. Mais les Godons rôdaient et les gens d’armes du Mont-de-Domme étaient méfiants.
L’homme était brave, un peu rustre, un peu farfadet comme on disait par chez nous. Mais vaillant. Il maniait l’épée mieux que d’aucuns chevaliers ou écuyers. Je le savais pour l’avoir vu à la manœuvre sur le champ clos, près notre château. Et comme tout un chacun, il avait besoin de soulager sa vessie ou son ventre. À chacun son heure. La nature a ses lois.
Sa vessie, passe encore. Mais son ventre ! Il répugnait à démonter pour baisser le cul et s’accroupir sous les murailles. Avant d’essuyer les quolibets des gardes qui menaient ronde sur les remparts.
Solide comme un bossage, rouquin et barbu, les yeux petits et presque vairons, il réagissait selon son instinct. Un instinct bestial. Un instinct de fauve. Un instinct qui s’était toujours révélé efficace autant que j’eusse pu en juger. Je savais pouvoir lui faire confiance en toutes circonstances.
Face à l’entrée de la bastide, six corbeaux en moellon soutenaient une autre et forte bretèche qui défendait le premier accès à la porte des Tours. De part et d’autre, les murailles munies de créneaux me semblèrent hautement et solidement remparées. La place était difficile à investir.
Pour respecter la dignité cul terreuse du brave sergent, René le Passeur, il me fallait cependant faire vite. Pourtant, j’avais l’esprit ailleurs : je ne cessais de peser sur les plateaux d’un trébuchet imaginaire le poids que représentaient à mes yeux Isabeau de Guirande, la gente damoiselle aux alumelles et Marguerite, la jolie lingère du château de Beynac.
Ma douce, jolie et brune lingère, Marguerite, que je croyais prompte à s’escambiller devant le premier drôle qui passait à portée de sa robe, m’en avait appris, depuis mes premières passes d’armes face à l’ennemi, plus que les codex de mon maître, le baron de Beynac, n’auraient jamais pu m’enseigner en sa librairie.
Certes, pas dans tous les domaines. Dans deux
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