La danse du loup
d’août, le 29 juillet de l’an de grâce 1248, par vents favorables, l’ost du roi Louis appareilla en chantant le Veni Creator.
La Montjoie, la Reine, la Damoiselle rejoignirent plus de quinze cents autres nefs, barges et drômons loués avec leur équipage aux armateurs des ports de Gênes et de Marseille. Elles s’engagèrent, toutes voiles gonflées, dans le vaste et profond chenal d’Aigues-Mortes.
Elles emportaient un nombre considérable de destriers, trois mille chevaliers, six mille écuyers et sergents montés, cinq mille arbalétriers et dix mille gens de pied, sans compter les nombreux serviteurs de cour, les maîtres ingénieurs et les compains de tous les corps de métiers.
Moins de deux mois auparavant, la veille des ides de juin, le 12 juin du même an de grâce, le roi avait levé l’oriflamme à Saint-Denis et reçu, selon la tradition, le bourdon et l’écharpe des pèlerins.
Cette fois, le comte Thibault de Champagne ne s’était pas croisé. Et pour cause. Il avait déjà donné, une dizaine d’années auparavant, avec la fine fleur de ses chevaliers. Et reçu grande indulgence. Pour avoir essuyé un grand désastre en la ville de Gaza. Il avait cependant dépêché son sénéchal, Jean de Joinville, grâce auquel nous tenions l’histoire de ce pèlerinage militaire.
Parmi les autres seigneurs, il y avait les ducs de Bourgogne et de Bretagne, les comtes de La Marche, de Saint-Pol, de Boulogne, de Flandre, le sire de Dampierre et quelques-uns des plus grands seigneurs de la comté de Toulouse.
Ayant perdu leurs fiefs pendant la tragédie albigeoise, ils espéraient ainsi se rédimer et y recouvrer quelques biens. La plupart des chevaliers étaient accompagnés de leurs épouses. D’aucuns avaient jugé plus sage de leur confier la gestion de leur domaine en leur absence.
Les deux frères du roi, Robert d’Artois et Charles d’Anjou l’accompagnaient, outre la reine Marguerite de Provence. Alphonse de Poitiers, son troisième frère, devait rejoindre l’ost royal en l’île de Chypre après avoir rassemblé sa bataille. La régence du royaume était assurée par la reine mère, Blanche de Castille.
Foulques de Montfort évoqua, sans s’y attarder, les circonstances qui avaient conduit notre saint roi à entreprendre ce premier pèlerinage : la longue maladie dont il s’était miraculeusement remis l’avait conduit à faire ce vœu. Mais ce ne fut pas la seule cause de ce pèlerinage : l’annonce du désastre survenu en la ville de Gaza où les Francs du comte de Champagne, les chevaliers syriens, ceux de l’ordre de Sainte-Marie des Teutoniques et de Saint-Jean de Jérusalem avaient perdu plus de dix mille hommes d’armes quatre ans plus tôt, y contribua pour beaucoup. Sans parler de la perte de Jérusalem dont le royaume se réduisait comme peau de chagrin à un chapelet de villes côtières…
« Messire Foulques, avez-vous quelque idée de ce que coûta une telle expédition ? demanda Arnaud, plus préoccupé de finance que d’indulgence.
— Pour financer cette expédition, le roi Louis dut bailler plus d’un million de livres tournois et en préparer l’organisation pendant une année entière !… affirma le chevalier.
— Un million de livres tournois ! Mais cela devait bien représenter à l’époque près de quatre fois les revenus des domaines de la couronne, s’exclama Arnaud, dont les pupilles s’étaient dilatées pour prendre forme et couleur d’un écu d’or.
— Oui, et comme vous le savez pour le tenir, peut-être comme moi, des chroniques du sire de Joinville qui accompagnait notre roi en ce septième pèlerinage de la Croix, cette somme considérable ne devait hélas point suffire.
« Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’argent qui fit alors défaut est à l’origine de ce trésor, une véritable fortune dont je vais tenter de rentrer en possession. Mais nous en reparlerons en d’autres temps. Plus tard. »
Le chevalier Foulques de Montfort devait effectivement en reparler quelque temps plus tard. Frère Jean aussi. Mais pour d’autres raisons. La science de l’un briserait la conscience de l’autre. Frère Jean le savait, mais restait coi. Le chevalier l’ignorait encore. Un simple répit. Il n’allait pas tarder à l’ouïr à ses dépens.
Saint Louis avait pris le conseil de ses barons et avait approuvé leur ordre de bataille. Ils avaient décidé d’attaquer
Weitere Kostenlose Bücher