La danse du loup
rênes, calmèrent leurs chevaux. Ils se rangèrent en ordre de bataille et chargèrent de front, à l’outrée.
Disloqués, les cavaliers ennemis offrirent une résistance farouche dans un premier temps, puis s’enfuirent à brides avalées vers la forteresse de Damiette. Cédant à la panique, la garnison l’abandonna aussitôt. On sut que le sultan du Caire les fit pendre dès leur arrivée.
Trois mil lances sur l’arçon posées en arrêt,
Trois mil heaumes sur le haubert entrelacés,
Trois mil destriers de fer vêtus harnachés,
Trois mil croix rouges sur une épaule cousues,
Sur les surcots tissées et les casques gravées,
Trois mil boucliers aux couleurs de leurs écus,
Aux blasons des armes des valeureux Croisés,
Attendaient de charger, ensemble, à l’outrée.
Les fanions ondulaient dans la brise du soir,
L’oriflamme gonflait leur courage d’espoir.
Dans le silence de la vie et de la mort,
On entendait hurler les Maures,
Dans le regard d’un ami occis,
Le déchirant appel à la vie.
Dans le bruit de la mort en sursis,
On préparait grande braverie.
Pour écraser les Ayyubides
Dont les archers décimaient nos rangs,
Avant qu’ils ne tournent la bride
Pour prendre les ordres du sultan.
Par la fente des meurtrières
Percée à travers la visière,
Trois mil regards de fiers chevaliers
Attendaient de charger, à l’outrée.
On écoutait le sable siffler
Dans les dunes des plaines ocrées.
On sentait les destriers piaffer
Sur sol et terre de sainteté,
On voyait le Christ ressuscité,
On portait la sainte Croix sacrée.
Neuf mil gens d’armes ou écuyers,
Plus de cinq mil arbalétriers,
Cordes bandées, pied à l’étrier,
Derrière leurs targes, abrités,
Sans aucun dépris ni vanterie,
Redoutaient grande mazèlerie.
Pour tout cimier, sa couronne d’or,
Sous le soleil, brillait de mil feux
Sur son heaume et sans remords.
À quand son cri de guerre fameux ?
Lance couchée,
Tête baissée,
Bouclier haut,
Tel un héraut,
Quelqu’un hurla,
Quelqu’un hucha :
Montjoie ! Saint-Denis !
C’était le roi Louis.
Montjoie ! Saint-Denis !
Vive le roi Louis !
Pour sainte Croix,
Pour notre Foi,
Chevaux au trot,
Nous n’étions trop.
Le sol tremble,
Tous ensembles,
Glaives au fourreau,
Et boucliers hauts,
Lances couchées,
Trois mil croisés,
Sur leurs destriers,
Au même instant,
Tous en avant,
Partent à l’assaut,
Chargent au galop.
Après le terrible choc,
Nous pointons les corps d’estoc,
Nous tranchons bras de taille
Sans connaître de faille.
L’ennemi serre les rangs,
Il oublie qu’il perd son sang.
De ses longs cimeterres,
Il tue nos gens à terre.
Des mailles très disloquées,
Foison de chefs décollés,
Des chevaux à l’éventrée,
Des bras proprement tranchés,
Du sang rouge répandu,
Des armures pourfendues,
Des mourants de fervêtus
Des larmes d’amis perdus.
La bataille fait rage,
Décime et ravage.
Que de triste carnage !
Làs, nous n’achevons pas le travail
Prévu dans l’ordre de bataille.
Sur le sable rouge, mil gisants,
Sur les dunes, moult agonisants.
Du sang cependant, Mahomet baisait le sol.
Enfin les Croisés pouvaient prendre leur envol
Partir à la reconquête de Damiette,
Avec Jaffa et sonneries de trompettes.
Les croisés entrèrent dans une ville déserte. Ils y trouvèrent vivres, armes et matériel de siège. Avant de s’engager dans le delta du Nil, le roi Louis décida d’attendre son frère, Alphonse de Poitiers. Chassé par la tempête, il avait fait escale à Saint-Jean-d’Acre. Il ne débarqua qu’à huit jours des calendes de novembre, le 24 octobre ! L’ost royal était à présent renforcé par les autres corps de bataille : les chevaliers chypriotes avec le roi Hugues, les chevaliers venus de Morée avec Guillaume de Villehardouin, les Templiers avec leur maître Guillaume de Sonnac et les Hospitaliers avec Jean de Ronay, et quelques chevaliers anglais du comte de Salisbury.
Le roi Louis assurait une nouvelle fois le commandement suprême, sans qu’il n’ait jamais eu à le revendiquer. Selon l’usage, il consulta les barons en son Conseil. Un grand seigneur, Pierre Mauclerc, duc de Bretagne et comte de la Marche, conseilla de prendre Alexandrie afin d’étouffer le commerce égyptien pour contraindre le sultan à demander la paix. Messire Gilles le Brun, connétable de France, et la plupart des
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